Janvier/Février

Le 2 janvier 1996
[Lettre de vœux, gravure représentant Gargantua avec cette inscription : Après les ripailles... Tous mes vœux pour 1996]


Chère Sandre,
Vieux souvenirs de correspondance qui resurgissent.
Très heureuse année à toi.
Au plaisir de te lire.
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Lundi 8 janvier
Ce matin, à 8h30, François Mitterrand est mort des suites de son cancer de la prostate. Il est évident que son empreinte dans l’histoire politique mondiale de la seconde moitié du vingtième siècle sera durable. Il appartenait à cette rare catégorie des véritables hommes d’Etat. Le parcours politique de Mitterrand est des plus complexes et des plus étonnants.
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Paris, le 18 janvier 1996
Chère Sandre,
Ravi que tu m'aies répondu, et que tu sois libre, hé hé ! J'aurais voulu te téléphoner, mais tu dois être en liste rouge, car aucune trace sur Minitel.
Ce que je deviens, depuis tout ce temps, vaste programme... Après avoir, par intermittences, poursuivi mes études de droit, je me suis inscrit cette année directement en maîtrise de lettres modernes à la Sorbonne nouvelle (Paris III). Je prépare un mémoire sur L’aristocratisme libertaire chez Bloy, Léautaud et Heïm, le dernier étant mon père de cœur. Un sujet qui me galvanise, tu t'en doutes.
Côté professionnel, toujours plongé dans le monde de l'édition, comme attaché de direction, je lance des projets éditoriaux et les bichonne jusqu'à leur sortie... Faisant préfacer mes exhumations par des personnalités locales, régionales ou nationales, je commence à me tisser quelques intéressantes relations.
L'écriture reste essentielle... Je poursuis la rédaction de mon Journal (j'ai commencé mon cinquième gros cahier) et prépare la publication épurée du premier tome que j'intitulerais probablement Au festin des infâmes.
Voilà en bref les nouvelles. Côté cœur, rien de bien marquant depuis fin 1993. Trop méfiant, trop difficile peut-être...
Surtout, si tu viens à Paris, préviens-moi, que l'on se voit. Sinon, je pourrais moi descendre cet été.
Je serais enchanté de poursuivre cette relation épistolaire. [...]
Au grand plaisir de te lire, je t'embrasse.
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Paris, le 29 janvier 1996
Pétillante Sandre,
Je te propose une trêve dans l'écriture illisible : moi avec mes arabesques, et toi avec tes rondeurs entremêlées. Me voilà donc renouant avec l'écriture typographique.
Je crois avoir bien retenu la composition de ton harem masculin. Je vais devoir bousculer quelques galants pour m’agripper au piédestal de prétendant. L'âme chevaleresque, fustigeur des pantouflards, galvanisé par l'impondérable, pétri de générosité, mon gros cœur rouge de ses eaux battantes je me propose, hé hé !, dans ma simplicité.
Avec un chouïa de sérieux, la pâleur nacrée de ta silhouette et l'élancement racé de ton maintien te rapprochent bien plus que tu sembles l'envisager de la princesse à adorer, et à épouser bien sûr !
Ceci comme un conseil à l'élu qui te chérira.
Pour ma pomme : j'adore toujours mon père de cœur (je t'enverrai la copie d'un article avec photos paru récemment dans un grand quotidien régional), nous avons un nouveau château bien à nous, l’une de mes deux sœurs de cœur nous a trahi et est comme morte pour moi. Je vogue toujours entre nos terres millénaires et le bouillonnement parisien.
Atla, atla, je scribouille depuis la somptueuse bibliothèque nationale et je dois m'éclipser.
Au grand plaisir de te relire. Attentivement tiens.
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Château d'Au., le 9 février 1996
Très chère Sandre,
Je doute que tu reçoives ma missive avant d'aller goûter la poudreuse.
Je reste donc brumeux dans mes réponses à tes interrogations, à moins que je ne les élude inconsciemment... Comme je tiens avant toute chose à la transparence de nos rapports, je vais les reprendre une à une. [...]
Rigueur, intégrité, loyauté... je me lance.
[C’est ton histoire que tu mets en page ?]
Là je reste bouche bée. Serais-je aussi délirant pour me laisser aller à inventer ma propre vie ? A moins que tu fasses allusion au Journal que je tiens depuis 1991. Seule méthode trouvée pour conserver un lien avec l'écriture, et témoignage d'un jeune homme ayant vécu quelques singularités. Je néglige depuis quelques mois la tenue de ce Journal, mais, grâce à toi, me voilà réconcilié avec le genre épistolaire. Ne serait-ce que pour cela, tous mes remerciements.
[Méfiant ?]
Très certainement. La nature humaine est en majorité source de désillusions et de chagrins. Ma dernière grande histoire d'amour s'est achevée sur mon initiative à la fin 1993 ; depuis, de l'éphémère par volonté... et méfiance. Les belles filles pullulent, ce n'est pas là la difficulté. L'alliance d'une plastique physique et d'un fond enchanteur est beaucoup plus rare. Plus je regarde la photo, plus je suis confirmé dans mon penchant pour toi. Voilà tout. Sincérité, au risque de la muflerie.
[Tu vis seul à Paris ?]
La capitale est un lieu de passage pour moi et je ne suis bien évidemment pas en ménage. Mais mon amour de la vie reste intact, et ma volonté de construire renforcée.
[Il te reste donc une sœur. Tu m’avais jadis parlé de quelqu’un avec tendresse, serait-ce elle ?]
Il est possible que celle dont j'avais dit grand bien soit justement celle qui a trahi... Encore une plaie au cœur et une atrocité pour l'âme...
[Dans ta jolie bn, il doit bien y avoir des manuscrits du Moyen Age, non ? Pourquoi y vas-tu ?]
La bibliothèque nationale possède un fonds ancien qui remonte à l'époque des parchemins. Quand tu feras un passage à Paris, je serais ravi de t'emmener dans cette antre magnifique. Je m'y rends très fréquemment pour mes recherches éditoriales. La collection monographique, à laquelle je participe, nécessite des recherches de documents anciens.
[Tu as tant d’écus dans ta cassette pour pouvoir aller de château en château ?]
En fait ce d’un château l’autre correspond à un déménagement au château d'Au, propriété familiale définitive. Je te joins un petit livret que nous avions édité il y a deux ans à l'occasion des journées du patrimoine. Ainsi tu pourras juger de mon attachement à ce lieu... millénaire.
[...]
Ta révolte m'est douce Sandre, ta fraîcheur est un enchantement...
Je suis ton très attentif obligé.
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Château d'Au., le 9 février 1996
Très chère Nadette,
C’est avec un très vif plaisir que j’ai appris que vous étiez encore vivante... merci pour votre délicieux courrier.
Si c’est pour le bonheur de l’union que vous avez disparu quelques temps, c’est on ne peut plus pardonnable, et bravo ! Vous m’aviez un peu confié, avec une confiance touchante, vos terreurs en cours de révélation.
La page se tourne et de merveilleuse manière. Je grave donc d’une pierre blanche la date de la fête nationale ce qui, pour moi, est un acte pour le moins inhabituel, hé hé ! Quant à être votre témoin : ce sera bien évidemment un plaisir et un honneur. [...]
Très attentivement, et avec toutes mes amitiés.
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Dans le train Paris-Laon, le 19 février 1996
Ma très chère Sandre,
[...]
[Je ne comprends rien à tes histoires de famille, qui est qui ?]
J'ai un père et une mère de sang qui ont chacun refait leur vie de leur côté. J'ai deux frères de sang (moi étant l'aîné) et un demi-frère tout récemment issu du côté père. A l'âge de 18-19 ans, mes parents ont rencontré Heïm, leur aîné de deux-trois ans qui dirigeait alors un groupement poétique très important. Ils se sont liés d'amitié, et j'ai passé de nombreuses vacances dans ses châteaux successifs, puis j'y ai habité de 8 à 11 ou 12 ans. Là-bas, des enfants de mon âge que je considère comme frères et sœur de cœur si tu veux... Voilà.
[Pourquoi une telle « atrocité pour l’âme » ?]
C'était un effet de style pour évoquer les mauvais coups dans la gu... que l'on chope... pour l'instant au sens figuré.
[...] Je présume que tu n'es pas très loin de Lyon, si mes intuitions watsonniennes sont bonnes. Je suis invité les 13 et 14 juillet prochain dans la capitale des Gaules comme témoin de la mariée, une amie de longue date. Me ferais-tu l'honneur, l'amitié et le plaisir de me consacrer ces deux jours ?
[De quel signe es-tu ?]
Balance ascendant lion...
Toujours très matérialiste, je ne serai de retour à Paris que samedi prochain. Je ne voudrais pas être privé de ta lecture pour cela. En fonction des dates, tu peux envoyer ton courrier au château, comme indiqué sur l'en-tête.
A bientôt, et au vif plaisir d'avoir de tes nouvelles. Ton attentif.
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Château d'Au., le 28.02.96
Chère amie Sandre,
Tout de go, de retour à Paris, je dévore tes lignes échevelées et j'm'en vas répondre à tes angoissantes questions. [...]
[Quels sont tes poètes préférés ?]
Avant la publication de mon recueil de poésies, à 17 ans, je m'étais interdit de lire tout poète pour éviter une influence directe. Sitôt le travail achevé je me suis jeté sur quelques auteurs, et quelques bonnes rencontres ont suivi : Paul Verlaine, Jacques Prévert, Lautréamont et surtout Antonin Artaud et son Ombilic des limbes, une merveille d'atrocités poétiques, de la pensée pure couchée sur le papier, de l'écriture organique... Voilà ma belle.
[Où sors-tu dans la capitale ?]
Bof, bof. Pas très consistantes mes sorties, en fait. Quelques cinémas, quelques restaurants, une boîte de nuit pour y écrire, et c'est à peu près tout. Lutèce ne m'a pas encore livré tous ses secrets. [...]
[Es-tu déjà allé en Grèce ?]
J’y suis passé il y a quelques années lors d'un périple européen : la côte de l'Adriatique et dans une île, Samos je crois. Quelques souvenirs épars.
[Je ne me souviens plus de ta voix ?]
Le timbre de mes cordes est grave et chaleureux. J'espère te bercer bientôt le conduit auditif.
[Qu’as-tu donc envie de construire ?]
Envie constante et multiforme. Construire une beauté de vie est peut-être la synthèse. Trouver son alter ego est la condition.
[Fais-tu lire ton journal ?]
Actuellement il n'a été lu, en partie, que par deux ou trois personnes très proches ; mais je ne vais pas m'adonner au culte du secret puisque l'objectif est qu'il paraisse. Alors pas de fausse timidité. Toutefois, certains éléments devront attendre avant d'être imprimés.
[Quelles sont donc ces « singularités » ?]
J’ai dû faire allusion à cette enfance un peu hors du commun que j'ai eue. Mais je reste là un peu brumeux, désolé. On trouve toujours plus singulier que soi...
[Qu’est-ce donc qu’un « fond enchanteur » ?]
C'est une personnalité qui a de l'allant et une capacité au renouvellement. C'est bien évidemment hautement subjectif, donc très facilement contestable. En fait, un peu confus ce que je t'ai défini. Dans la sauce jusqu'au cou... Enchante-moi, alors !
[Quelle est ta définition de la muflerie ?]
C'est d'être odieux involontairement, un Dom Juan ou un Casanova en sabots. En fait c'est très varié. Un exemple ? Avec le nez aussi droit que tu as, tes lunettes doivent bien tenir !!! Ignoble non ? Un gros bisou pour me faire pardonner.
[Un garçon comme toi doit être sollicité, non ?]
Je ne me mets pas en disposition pour cela, et je n'ai pas de fan-club. Je ne me plains pas pour autant, mais je reste en réserve. Pour les accointances, en revanche, il y a abondance...
[As-tu beaucoup d’amis ?]
En dehors de cette famille affinitaire, qui rassemble mes plus sûrs amis, j'ai de très bonnes relations féminines. Mes plus grandes amies sont déjà en quasi-ménage, et je n'ai pas de penchant destructeur, donc pas de danger. Elles sont diverses, mais beaucoup viennent du monde juridique (études partagées...).
[Es-tu du genre évanescent ?]
Heu... je ne crois pas que ce soit l'adjectif le plus approprié... Certes un peu lunatique, mais très réaliste et le contraire d'effacé. L'évanescence est une typologie féminine plutôt. [...]
[Es-tu déjà venu à Lyon ?]
Oui, j'y ai déjà fait quelques virées.
[Tu vis dans si peu de m2 que moi ?]
Mon pied-à-terre à Paris s'assimile en effet au mouchoir de poche, mais fonctionnel.
Bien aimé ton passage sur les mollusques à la queue flasque... Toi tu es plus proche de la bourrasque enivrante même en bavant.
[Qu’aimes-tu dans l’histoire (époque et personnages) ?]
Le Moyen Age et son mode seigneurial, certains chefs chouans, etc. je pourrais te développer ce plan une prochaine fois.
Je m'attarde, je m'attarde, mais c'est pour épuiser la flopée de questions. [...]
[Quel âge a la mariée ?]
Elle doit avoir autour de 30 ans, charmante jeune femme... Ce que je voudrais, pendant ce séjour, c'est que tu sois comme mon invitée et que tu m'accompagnes partout où l'on ira comme une amie... Sinon je me dégagerai des zones de disponibilité.
A très bientôt sur feuilles, et intensifions notre complicité jusqu'à plus soif. Tendrement.
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