Janvier/Février

Le 2 janvier 1996
[Lettre de vœux, gravure représentant Gargantua avec cette inscription : Après les ripailles... Tous mes vœux pour 1996]


Chère Sandre,
Vieux souvenirs de correspondance qui resurgissent.
Très heureuse année à toi.
Au plaisir de te lire.
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Lundi 8 janvier
Ce matin, à 8h30, François Mitterrand est mort des suites de son cancer de la prostate. Il est évident que son empreinte dans l’histoire politique mondiale de la seconde moitié du vingtième siècle sera durable. Il appartenait à cette rare catégorie des véritables hommes d’Etat. Le parcours politique de Mitterrand est des plus complexes et des plus étonnants.
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Paris, le 18 janvier 1996
Chère Sandre,
Ravi que tu m'aies répondu, et que tu sois libre, hé hé ! J'aurais voulu te téléphoner, mais tu dois être en liste rouge, car aucune trace sur Minitel.
Ce que je deviens, depuis tout ce temps, vaste programme... Après avoir, par intermittences, poursuivi mes études de droit, je me suis inscrit cette année directement en maîtrise de lettres modernes à la Sorbonne nouvelle (Paris III). Je prépare un mémoire sur L’aristocratisme libertaire chez Bloy, Léautaud et Heïm, le dernier étant mon père de cœur. Un sujet qui me galvanise, tu t'en doutes.
Côté professionnel, toujours plongé dans le monde de l'édition, comme attaché de direction, je lance des projets éditoriaux et les bichonne jusqu'à leur sortie... Faisant préfacer mes exhumations par des personnalités locales, régionales ou nationales, je commence à me tisser quelques intéressantes relations.
L'écriture reste essentielle... Je poursuis la rédaction de mon Journal (j'ai commencé mon cinquième gros cahier) et prépare la publication épurée du premier tome que j'intitulerais probablement Au festin des infâmes.
Voilà en bref les nouvelles. Côté cœur, rien de bien marquant depuis fin 1993. Trop méfiant, trop difficile peut-être...
Surtout, si tu viens à Paris, préviens-moi, que l'on se voit. Sinon, je pourrais moi descendre cet été.
Je serais enchanté de poursuivre cette relation épistolaire. [...]
Au grand plaisir de te lire, je t'embrasse.
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Paris, le 29 janvier 1996
Pétillante Sandre,
Je te propose une trêve dans l'écriture illisible : moi avec mes arabesques, et toi avec tes rondeurs entremêlées. Me voilà donc renouant avec l'écriture typographique.
Je crois avoir bien retenu la composition de ton harem masculin. Je vais devoir bousculer quelques galants pour m’agripper au piédestal de prétendant. L'âme chevaleresque, fustigeur des pantouflards, galvanisé par l'impondérable, pétri de générosité, mon gros cœur rouge de ses eaux battantes je me propose, hé hé !, dans ma simplicité.
Avec un chouïa de sérieux, la pâleur nacrée de ta silhouette et l'élancement racé de ton maintien te rapprochent bien plus que tu sembles l'envisager de la princesse à adorer, et à épouser bien sûr !
Ceci comme un conseil à l'élu qui te chérira.
Pour ma pomme : j'adore toujours mon père de cœur (je t'enverrai la copie d'un article avec photos paru récemment dans un grand quotidien régional), nous avons un nouveau château bien à nous, l’une de mes deux sœurs de cœur nous a trahi et est comme morte pour moi. Je vogue toujours entre nos terres millénaires et le bouillonnement parisien.
Atla, atla, je scribouille depuis la somptueuse bibliothèque nationale et je dois m'éclipser.
Au grand plaisir de te relire. Attentivement tiens.
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Château d'Au., le 9 février 1996
Très chère Sandre,
Je doute que tu reçoives ma missive avant d'aller goûter la poudreuse.
Je reste donc brumeux dans mes réponses à tes interrogations, à moins que je ne les élude inconsciemment... Comme je tiens avant toute chose à la transparence de nos rapports, je vais les reprendre une à une. [...]
Rigueur, intégrité, loyauté... je me lance.
[C’est ton histoire que tu mets en page ?]
Là je reste bouche bée. Serais-je aussi délirant pour me laisser aller à inventer ma propre vie ? A moins que tu fasses allusion au Journal que je tiens depuis 1991. Seule méthode trouvée pour conserver un lien avec l'écriture, et témoignage d'un jeune homme ayant vécu quelques singularités. Je néglige depuis quelques mois la tenue de ce Journal, mais, grâce à toi, me voilà réconcilié avec le genre épistolaire. Ne serait-ce que pour cela, tous mes remerciements.
[Méfiant ?]
Très certainement. La nature humaine est en majorité source de désillusions et de chagrins. Ma dernière grande histoire d'amour s'est achevée sur mon initiative à la fin 1993 ; depuis, de l'éphémère par volonté... et méfiance. Les belles filles pullulent, ce n'est pas là la difficulté. L'alliance d'une plastique physique et d'un fond enchanteur est beaucoup plus rare. Plus je regarde la photo, plus je suis confirmé dans mon penchant pour toi. Voilà tout. Sincérité, au risque de la muflerie.
[Tu vis seul à Paris ?]
La capitale est un lieu de passage pour moi et je ne suis bien évidemment pas en ménage. Mais mon amour de la vie reste intact, et ma volonté de construire renforcée.
[Il te reste donc une sœur. Tu m’avais jadis parlé de quelqu’un avec tendresse, serait-ce elle ?]
Il est possible que celle dont j'avais dit grand bien soit justement celle qui a trahi... Encore une plaie au cœur et une atrocité pour l'âme...
[Dans ta jolie bn, il doit bien y avoir des manuscrits du Moyen Age, non ? Pourquoi y vas-tu ?]
La bibliothèque nationale possède un fonds ancien qui remonte à l'époque des parchemins. Quand tu feras un passage à Paris, je serais ravi de t'emmener dans cette antre magnifique. Je m'y rends très fréquemment pour mes recherches éditoriales. La collection monographique, à laquelle je participe, nécessite des recherches de documents anciens.
[Tu as tant d’écus dans ta cassette pour pouvoir aller de château en château ?]
En fait ce d’un château l’autre correspond à un déménagement au château d'Au, propriété familiale définitive. Je te joins un petit livret que nous avions édité il y a deux ans à l'occasion des journées du patrimoine. Ainsi tu pourras juger de mon attachement à ce lieu... millénaire.
[...]
Ta révolte m'est douce Sandre, ta fraîcheur est un enchantement...
Je suis ton très attentif obligé.
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Château d'Au., le 9 février 1996
Très chère Nadette,
C’est avec un très vif plaisir que j’ai appris que vous étiez encore vivante... merci pour votre délicieux courrier.
Si c’est pour le bonheur de l’union que vous avez disparu quelques temps, c’est on ne peut plus pardonnable, et bravo ! Vous m’aviez un peu confié, avec une confiance touchante, vos terreurs en cours de révélation.
La page se tourne et de merveilleuse manière. Je grave donc d’une pierre blanche la date de la fête nationale ce qui, pour moi, est un acte pour le moins inhabituel, hé hé ! Quant à être votre témoin : ce sera bien évidemment un plaisir et un honneur. [...]
Très attentivement, et avec toutes mes amitiés.
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Dans le train Paris-Laon, le 19 février 1996
Ma très chère Sandre,
[...]
[Je ne comprends rien à tes histoires de famille, qui est qui ?]
J'ai un père et une mère de sang qui ont chacun refait leur vie de leur côté. J'ai deux frères de sang (moi étant l'aîné) et un demi-frère tout récemment issu du côté père. A l'âge de 18-19 ans, mes parents ont rencontré Heïm, leur aîné de deux-trois ans qui dirigeait alors un groupement poétique très important. Ils se sont liés d'amitié, et j'ai passé de nombreuses vacances dans ses châteaux successifs, puis j'y ai habité de 8 à 11 ou 12 ans. Là-bas, des enfants de mon âge que je considère comme frères et sœur de cœur si tu veux... Voilà.
[Pourquoi une telle « atrocité pour l’âme » ?]
C'était un effet de style pour évoquer les mauvais coups dans la gu... que l'on chope... pour l'instant au sens figuré.
[...] Je présume que tu n'es pas très loin de Lyon, si mes intuitions watsonniennes sont bonnes. Je suis invité les 13 et 14 juillet prochain dans la capitale des Gaules comme témoin de la mariée, une amie de longue date. Me ferais-tu l'honneur, l'amitié et le plaisir de me consacrer ces deux jours ?
[De quel signe es-tu ?]
Balance ascendant lion...
Toujours très matérialiste, je ne serai de retour à Paris que samedi prochain. Je ne voudrais pas être privé de ta lecture pour cela. En fonction des dates, tu peux envoyer ton courrier au château, comme indiqué sur l'en-tête.
A bientôt, et au vif plaisir d'avoir de tes nouvelles. Ton attentif.
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Château d'Au., le 28.02.96
Chère amie Sandre,
Tout de go, de retour à Paris, je dévore tes lignes échevelées et j'm'en vas répondre à tes angoissantes questions. [...]
[Quels sont tes poètes préférés ?]
Avant la publication de mon recueil de poésies, à 17 ans, je m'étais interdit de lire tout poète pour éviter une influence directe. Sitôt le travail achevé je me suis jeté sur quelques auteurs, et quelques bonnes rencontres ont suivi : Paul Verlaine, Jacques Prévert, Lautréamont et surtout Antonin Artaud et son Ombilic des limbes, une merveille d'atrocités poétiques, de la pensée pure couchée sur le papier, de l'écriture organique... Voilà ma belle.
[Où sors-tu dans la capitale ?]
Bof, bof. Pas très consistantes mes sorties, en fait. Quelques cinémas, quelques restaurants, une boîte de nuit pour y écrire, et c'est à peu près tout. Lutèce ne m'a pas encore livré tous ses secrets. [...]
[Es-tu déjà allé en Grèce ?]
J’y suis passé il y a quelques années lors d'un périple européen : la côte de l'Adriatique et dans une île, Samos je crois. Quelques souvenirs épars.
[Je ne me souviens plus de ta voix ?]
Le timbre de mes cordes est grave et chaleureux. J'espère te bercer bientôt le conduit auditif.
[Qu’as-tu donc envie de construire ?]
Envie constante et multiforme. Construire une beauté de vie est peut-être la synthèse. Trouver son alter ego est la condition.
[Fais-tu lire ton journal ?]
Actuellement il n'a été lu, en partie, que par deux ou trois personnes très proches ; mais je ne vais pas m'adonner au culte du secret puisque l'objectif est qu'il paraisse. Alors pas de fausse timidité. Toutefois, certains éléments devront attendre avant d'être imprimés.
[Quelles sont donc ces « singularités » ?]
J’ai dû faire allusion à cette enfance un peu hors du commun que j'ai eue. Mais je reste là un peu brumeux, désolé. On trouve toujours plus singulier que soi...
[Qu’est-ce donc qu’un « fond enchanteur » ?]
C'est une personnalité qui a de l'allant et une capacité au renouvellement. C'est bien évidemment hautement subjectif, donc très facilement contestable. En fait, un peu confus ce que je t'ai défini. Dans la sauce jusqu'au cou... Enchante-moi, alors !
[Quelle est ta définition de la muflerie ?]
C'est d'être odieux involontairement, un Dom Juan ou un Casanova en sabots. En fait c'est très varié. Un exemple ? Avec le nez aussi droit que tu as, tes lunettes doivent bien tenir !!! Ignoble non ? Un gros bisou pour me faire pardonner.
[Un garçon comme toi doit être sollicité, non ?]
Je ne me mets pas en disposition pour cela, et je n'ai pas de fan-club. Je ne me plains pas pour autant, mais je reste en réserve. Pour les accointances, en revanche, il y a abondance...
[As-tu beaucoup d’amis ?]
En dehors de cette famille affinitaire, qui rassemble mes plus sûrs amis, j'ai de très bonnes relations féminines. Mes plus grandes amies sont déjà en quasi-ménage, et je n'ai pas de penchant destructeur, donc pas de danger. Elles sont diverses, mais beaucoup viennent du monde juridique (études partagées...).
[Es-tu du genre évanescent ?]
Heu... je ne crois pas que ce soit l'adjectif le plus approprié... Certes un peu lunatique, mais très réaliste et le contraire d'effacé. L'évanescence est une typologie féminine plutôt. [...]
[Es-tu déjà venu à Lyon ?]
Oui, j'y ai déjà fait quelques virées.
[Tu vis dans si peu de m2 que moi ?]
Mon pied-à-terre à Paris s'assimile en effet au mouchoir de poche, mais fonctionnel.
Bien aimé ton passage sur les mollusques à la queue flasque... Toi tu es plus proche de la bourrasque enivrante même en bavant.
[Qu’aimes-tu dans l’histoire (époque et personnages) ?]
Le Moyen Age et son mode seigneurial, certains chefs chouans, etc. je pourrais te développer ce plan une prochaine fois.
Je m'attarde, je m'attarde, mais c'est pour épuiser la flopée de questions. [...]
[Quel âge a la mariée ?]
Elle doit avoir autour de 30 ans, charmante jeune femme... Ce que je voudrais, pendant ce séjour, c'est que tu sois comme mon invitée et que tu m'accompagnes partout où l'on ira comme une amie... Sinon je me dégagerai des zones de disponibilité.
A très bientôt sur feuilles, et intensifions notre complicité jusqu'à plus soif. Tendrement.
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Mars

Vendredi 8 mars
Essai de reprise de ce Journal délaissé depuis tant de temps. Les notes seront rapides, dégraissées de toutes fioritures inutiles. Une sorte de carnet de bord existentiel pour que des repères restent inscrits.
Au château, l’activité n’est pas brillante. Nous sommes une nouvelle fois au bord du gouffre. Notre manque d’ardeur, notre irresponsabilité, nos manque­ments risquent à nouveau de nous coûter très cher. Heïm, dé­sespéré par notre immaturité, ne va pas bien du tout. Un jour sur deux un repas-catharsis. A la fin mars, la sentence tombera.
Je sors d’une mononucléose infectieuse, ou maladie des étudiants, chopée je ne sais où, dans je ne sais quelle donzelle... Une semaine de combat organique et un épuisement sans pareil.
J’ai commencé la rédaction de mon mémoire.
Il me faudra être un peu plus attractif lors des prochaines notations.
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Paris, le 9 mars 1996
Sandre, douce amie,
Au sortir de notre conversation, une petite amertume de n'avoir pu être à tes côtés pour t'insuffler la douceur dont tu avais besoin.
Ta lettre virevolte dans tous les sens, avec pour moi quelques graphies incompréhensibles. Je suis privé de certaines subtilités, et certaines de tes questions (j'ai reconnu le signe interrogatif) me sont inaccessibles. Il faudrait presque que tu gardes des copies pour me faire la lecture... hé !
[Tu écris dans une boîte de nuit, ce n'est pas fait pour ça à l’origine, non ?]
L'objet de cette écriture dans les culs-de-basse-fosse à décibels était à l'origine la mise en perspective de ce monde nocturne de la décontraction superficielle avec certains événements graves de l'actualité.
Le fil de rasoir sur lequel tu te trimballes est posé à terre. Ta détresse profonde est touchante, mais je ne veux pas aller dans ton sens. Il me faut être un peu rude pour espérer t'apporter quelque aide. Hurler avec des loups affamés n’a jamais rempli leur estomac. Tu es une louve jouant de presque tout, mais fondamentalement désespérée.
Le désespoir constructeur, voilà ce que peut t'apporter la transcendance de la misère humaine.
Je tiens à ta renaissance. Ton ami attentif.
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Château d'Au., le 14 mars 1996
Sandre très chère (varions un peu !),
Sitôt le combiné raccroché, je me mets à la plume. Elle ne s'attardera pas pour cette fois, car la littérature que je t'ai imprimée ne peut pas attendre :
- Trois textes écrits en boîte,
- Deux chroniques télématiques sur la Guerre du Golfe.
Très touché par tes deux derniers courriers, beaucoup plus impliqués. Je ne manquerai pas d'approfondir mon sentiment par une prochaine lettre.
Mais là, atla, atla !
Avec toute mon affection.
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Train corail Laon-Paris, le 15 mars 1996
Amie Sandre,
Ton désir de venir à Paris avant l'été est une excellente idée. Pour le logement, je tente un contact. Me promener en ta compagnie dans les travées de la cathédralesque Notre-Dame ne peut que m'enchanter.
[Je vais aller voir L'Armée des 12 singes, je ne sais si je vais accrocher.]
Ce film est une belle réussite ! Un Bruce Willis à couper le souffle dans sa perfor­mance, un scénario bien agencé, même si la complexité entame parfois l'efficacité de l'action.
[Les « mollusques » sont des personnes avec lesquelles on ne peut pas tout aborder, ils sont frustrants. Si nous sommes face à face, j’aurais l’occasion de t’en dire davantage, à moins d’être totalement inhibée face à toi.]
Pourquoi, diable, cette crainte ? Je ne mange jamais les jolies jeunes filles (ou femmes) sauf pour leur donner du plaisir, hé ! Aucune raison de passer d'une décontraction épistolaire, d'un pétillement téléphonique à un coincement maladif... Je n'y crois pas. Notre complicité croît au fil des lettres.
[« I love Paris in the springtime... ». Elle chante vraiment bien.]
Tu aimes notre capitale... moi non plus comme le chanterait Gainsbourg. Certes Big Lutèce forme une concentration extraordinaire de l'univers humain, mais cette tendance à l'entassement excessif, signe de notre toujours persistante nature grégaire, ne favorise pas la qualité individuelle.
[La musique, c’est bien quelque chose qui m’apaise, comme l’océan.]
La musique constitue un art essentiel dans mon existence. Pas un jour de l'année où je n'écoute du tsoin tsoin en tous genres (funk, soul, new jack, jazz, blues, rock, reggae, rap, etc...). Je ne pratique aucun instrument, à mon grand regret, ayant été, petiot, dégoûté par un jobard de professeur dans son enseignement à la con du solfège. Depuis, hormis tapoter maladroitement les touches d'un piano, ou faire un peu de trompette buccale (une spécialité) je ne joue que de ma voix, avec une certaine jubilation.
[JP n’a pas ton esprit, il est moins vif, plus terrien...]
Merci pour le gentil compliment de ma vivacité et de mon aérienneté (oh l'affreux néologisme !). Je t'invite à danser le slow que tu veux quand tu veux ma douce ! On se place comme on peut, non ?
[Une nuit avec peu de rêve. Deux chambre d’hôtel : le 519 ; j’étais avec mad, et le 551 à côté (?) où il y avait Fab. Vue sur mer. Une piscine immense avec cinq personnes dans un coin, pourquoi cinq ? Un type tue deux filles sur une route de campagne. Ça ne tient pas debout... Je dois être torturée du bulbe !!!]
Ton rêve n'est pas si déjanté que cela. Un peu violent, mais ta nature reste imperturbable face à quelques corps écharpés, non ? A la fin de l’adolescence, un de mes songes a constitué la base d’écriture du plus long et du plus violent poème que j'avais dû t'envoyer, L’éon et sa lie pure. Là encore, même dans l'atroce, on se rejoint.
La constante tourmente de ton esprit rejoint une sensibilité exacerbée. Réserve ta richesse intérieure aux êtres qui valent. Tu as la capacité de jouer de ton apparence... c'est ta puissance.
[Je suis sur cette planète à cause d’un accident ou d’un incident de parcours...]
Chienne de naissance, rapports aux parents terribles, perdue entre une ombre de père et une impardonnable marâtre. Tu n'es pas gâtée. L'influence de ce sombre tableau sur ton rapport aux hommes, un premier amour raté, et peut-être même une défloration de cochon. L'avantage est d'avoir créé une méfiance salvatrice...
Laisser les noirceurs de la vie, les crasseux et les médiocres de tous poils, et rejaillir comme une Eve vénusienne... un bon programme pour toi, si l'Adam est à la hauteur.
[J’aurais bien aimé avoir un grand frère.]
Si je ne peux être ton galant, je serais honoré de m'incarner en grand frère pour toi, celui à qui tu demanderas d'être son premier témoin à ton mariage. Et là, au moins, frère et sœur ce sera pour la vie !
[J’ai souvent rêvé d’être avec un écrivain, tout sauf un médecin. (...) Mon chat dort sur ma robe, il ne se tracasse pas lui.]
Ton rapprochement du matou et de l'écrivain me suggère, évidemment, la figure de Léautaud sur qui je travaille pour mon mémoire. Il accueillit jusqu'à vingt chiens et trente chats en même temps...
Vivre avec un écrivain, un de tes désirs profonds ? Je ne relèverai pas... hé hé !
[Pourquoi cette peur du sang ?]
J'ai peut-être un peu trop joué le douillet mental avec toi : la vue du sang, des tripes et de la sanie ne me fait pas systématiquement défaillir, mais il est vrai que je ne pourrais pas vivre mes journées dans l'atmosphère hospitalière. [...]
[Ton père a fait beaucoup de dettes pour acheter cette grande demeure ?]
Le château a été acquis par le biais d'une sci dont je suis l'un des associés... ce n'est pas un achat en nom personnel. Une partie cash, et l'autre par le biais d'un prêt...
[Ne te sens-tu pas isolé ?]
Point de sentiment d'isolement dans cette seigneurie, car je reviens toutes les semaines à Paris. Cet équilibre entre la féodalité et mon petit pied-à-terre parisien me convient. 230 habitants à Au, un peu plus à Paris...
[Vous avez des domestiques comme tout châtelain qui se respecte ?]
Un jardinier-homme à tout faire, une femme d'entretien et deux ouvriers.
[Ton amie lyonnaise est de quel quartier ? Ça sera clean comme réception ?]
La future mariée réside Cours de la Liberté et je présume que la réception aura tout le charme nécessaire : ni trop guindé, ni trop débraillé.
[Tu sais comment tu vas être habillé, sans faire de l’ombre au marié ?]
Ma « vêture » pour le grand jour n'est pas encore tout à fait au point, mais mon penchant séducteur ne me fera pas manquer le coche. De là à détrôner le marié... hé !
Un mystère : pourquoi ton clip-clap ou clap-clip, selon le sens, ne peut nous accueillir tous les deux : exiguïté du matériel ou crainte de la demoiselle ?
[L’été, tu te partages entre Laon et Pézénas ?]
Cet été, rien n'est défini. Mes allers-retours se feront plutôt entre Paris et Au, avec un voyage dans le sud.
Je te joins, comme promis, l'introduction non achevée de mon mémoire. Je ne suis pas qu'un fanfaron de la plume.
A te lire, attentivement tiens.
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Lundi 18 mars
Minuit dépassé, dans quelques heures une nouvelle semaine pour se battre sur tous les fronts.
Reprise de contact, la semaine dernière, avec Madeleine Chapsal. Tout va bien. Je devrais participer au Salon du livre de Limoges fin avril. Peut-être y retrouverais-je Sandre R., délicieuse et pétillante jeune fille avec qui j’entretiens une correspondance fournie.


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Paris, le 24 mars 1996
Sandre la terrible,
« Mon petit Loïc » dis-tu ? J'adapte donc mon support à ta perception affective [choix de feuilles au format A5]. A nouveau la plume dressée pour répondre à 95 % de tes interrogations, soigneusement notées. Les 5 % restant se composent de l'illisible ou de « fausses » questions.
[Si je vois une bague mieux que celle de la place Vendôme, je te le dis, c’est promis. Un châtelain qui ne peut pas se permettre cette folie, c’est un avare ou un riche plein de dettes ?]
Le châtelain de Crauze n'a pas encore son aisance financière, je l'avoue volontiers. S'il le faut, j'irais casser de la caillasse pour te l'offrir cette bague. Voilà ce que déclarerait un chevalier courtois.
[Tu connais des étudiantes en médecine à Paris ?]
Non, je n’ai pas eu le temps de faire la sortie des facultés avec mon long imperméable. D'autre part, je suis un ignare dans le domaine médical. Que pourrait donc apporter un juriste lettré comme moi à une poétesse des intérieurs corporels ? Et moi alors, vas-tu me rétorquer avec l'à-propos que je te connais ? Une perle perdue dans cet univers barbare je crois.
[Quelle est ta définition du romantisme ?]
Le romantisme à la XIXe est soit une mièvrerie nian-nian pour puceau blême, soit une manière d'être pleine d'attentions, d'intentions séductrices et de charmes diffus. Tout dépend de la tendance négative ou positive qu'on met dans son analyse.
[Qu’as-tu comme voiture ?]
Encore une déception de plus pour toi Sandre l'accablée. Je n'ai ni permis ni, a fortiori, de teuf-teuf ou vroum-vroum, selon le modèle !
[As-tu une couleur préférée ?]
Cela dépend du support : rouge vif pour les eaux battantes du cœur, jaune éclatant pour l'astre brûlant, noire pour mes haillons.
[Dans quelle boîte as-tu écrit ?]
Comme précisé dans la chronique, la boîte des Putes à Trous et des Bites Molles est une des plus confortables de Lutèce : l'Aquarium. Une belle occasion d'aller barboter en rythme.
[As-tu déjà eu des demandes en mariage ?]
Une demande pour passer devant messieurs le Maire et Notre-Tout-Puissant ? Une seule fois, dans la perspective d'une vie avec Kate. Pour le reste, je n'ai pas fréquenté assez longtemps.
[Que penses-tu de mon papier à lettres ?]
Ton papier à scribouiller me convient parfaitement au toucher. Evite tout de même le bleu sur bleu...
[J’ai rêvé que tu vendais des bouteilles de champagne au noir, ça veut dire quelque chose, à part que je suis timbrée ?]
Je n'ai pas les qualités de notre feu tonton Freud pour en tirer quelques lumineuses interprétations. T'apparaîtrais-je comme un jeune aristocrate en déchéance, alcoolo et réduit aux escroqueries de seconde zone ? Hé hé, quel tableau !
[Ton papa ne pratique plus du tout la psychologie ?]
Plus de manière professionnelle depuis belle lurette. Mais si tu le souhaites, je peux exceptionnellement t'obtenir un rendez-vous.
[Pourquoi les artères divergent-elles partout dans l’organisme, exception faite du cerveau ? La main de Dieu ?]
C'est toi qui doit tout m'apprendre sur la divergence des conduits. Je ne pourrais moi t'écrire que des niaiseries comme présentement.
[Tu es en train de devenir mon confident, ça c’est ma vision des choses.]
Etre ton confident, chuchotements compris, m'est, je te le répète, très agréable. Vaste programme que de connaître toutes tes contrées psychologiques...
[Qu’aimes-tu bien manger ? Boire ?]
Je suis un gourmand. Hormis les coquillages et les concombres, j'aime à peu près tout. Pour la cuisine simple et rapide, je suis très viande crue, poisson cru et salade composée. Pour la boisson, sodas et eau si je suis tout seul ; vin rouge et Bison flûté (un tiers de vodka à l'herbe de bison, deux tiers de Coca-Cola et un max. de glaçons) en repas convivial.
[Pourquoi cette habitude de l’obscénité ? C’est ton rempart ?]
Ce n'est pas moi qui le suit, ce sont les gens et les situations que je décris. La crasse est le lot de notre civilisation : je ne vais pas la transcrire avec douceur et doigté.
En revanche, j'ai un amour des mots. Et comme dirait Heïm : « J’adore rouler mes contemporains dans le caca. Les mots orduriers ne me font pas peur, je nourris pour eux une passion stendhalienne. Il en est de bien gluants, de bien puants, de bien excrémentiels qui définissent excellemment le petit personnel que je brocarde. »
[Ecris-tu des lettres d’amour ?]
Peu à mon actif. Plutôt des poésies ou des textes en prose intégrés à un ensemble plus vaste.
[Ton affection pour les femmes semble bien relative ; sommes-nous si exécrables ?]
Je ne suis en aucun cas amer sur la femme en particulier, mais plutôt sur l'être en général. Une femme, au sens plein du mot, est pour moi un ravissement sans réserve. Mais combien de temps le sera-t-elle ? Le meilleur de chacun est souvent à durée très limitée.
[Ne pas se souvenir de ses rêves a-t-il un sens ?]
Cela me semble surtout un état psychologique satisfaisant. Pas de tourmente à avoir.
[Les filles de la nuit lisaient-elles tes textes ?]
Ecrire un texte en boîte suscite, en effet, la curiosité, notamment des belles jeunes filles. Il m'est parfois arrivé d'en lire des passages, prétendant que je rédigeais une thèse sur la décontraction humaine dans les milieux de la nuit. Le plus souvent, les donzelles me regardaient avec des yeux ronds...
[La loi du tout ou rien s’applique-t-elle à ta personne ?]
Le tout ou rien comme loi de rapport avec les gens est peut-être une conséquence de mon caractère passionné. En réalité, je suis beaucoup plus conciliant que tu ne le penses.
[A quoi peut bien ressembler ton modèle féminin ?]
Pas de modèle absolu, mais quelques qualités de base à réunir : féminité, beauté, intelligence, sensibilité, pétillement, curiosité et sensualité.
[Passes-tu beaucoup de temps dans ton château ?]
Les séminaires en maîtrise de lettres sont en effet peu nombreux. D'autant plus pour moi depuis un mois : sur trois séminaires, l'un s'est achevé à la fin du premier semestre, le deuxième est interrompu depuis décembre 95 pour cause d'accident cardiaque du professeur (rétablissement le 1er avril ! mais si !) et le troisième a lieu le mardi tous les quinze jours. Voilà mon programme. L'essentiel est dans le travail personnel.
[Karl a lui aussi des parents vivants et une adoption sentimentale ?]
Oui. Sa mère a été longtemps compagne et collaboratrice de Heïm. Son géniteur n'a plus de rapport, en fait n'en n'a jamais eu vraiment.
[Que penses-tu de l’IVG ?]
Progrès incontestable qui doit être utilisé avec discernement et un grand sens moral.
[L’écriture semble une véritable raison d’être chez toi. En vivre est-il ton but ?]
Vivre de mon écriture serait évidemment la plus merveilleuse des situations, mais je n'y crois guère : mon style et le contenu ne peuvent pas passionner grand monde. Et faire dans l'écriture alimentaire n'est pas dans mes cordes...
[Beaucoup de femmes te laissent-elles l’impression d’un rêve perdu ?]
Vrai que certaines jeunes filles, que je n'ai pu courtiser, ont rejoint ce que j'appelais « les fosses insondables de l’irréalisé ». Le lot de toute existence en fait.
[Qu’est-ce qu’un comportement féminin ?]
Le comportement et la psychologie d'une femme telle que je l'espère se caractérisent par la combinaison harmonieuse de toutes les qualités citées précédemment...
[Qui est Monique ?]
Une collaboratrice affective de Heïm depuis 35 ans.
[Tu écris ta bio. dans ton journal ou aussi tes impressions au jour le jour ?]
Mon Journal (que je ne tiens pas au jour le jour) a trois directions essentielles : ma vie personnelle, mes activités professionnelles et mon humeur sur le monde.
[Etre mon galant, c’est une bonne blague du cru de crauzien, c’est ça ? Et si je finissais par être moi aussi maudite ?]
Bon, alors je boude et remballe mon matos. Maudite, oui, peut-être ce sentiment germe-t-il en moi à ton égard... Laissons mûrir, hé hé !
Ceci dit, notre conversation a été pour le moins intense en émotions. Je reste totalement disponible et ton attentif complice. Bisous chauds.
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Entre Paris et Au, le 27 mars 1996
Très chère Sandre,
Illuminante révélation et touchante sensibilité que la tienne. Le style et le fond enfin en symbiose, et moi lecteur comblé par ce débordement affectif. Mais garde ! Reste à l’affût de mes propres défauts, car je suis loin du modèle parfait ! Tu as droit à une limpidité dans ma présentation. Je tends vers le meilleur certes, mon rapport à l'être s'est considérablement amélioré, mais ma misanthropie reste nichée dans quelque arcane insoupçonnée.
Pour commencer, l'inaccomplissement de mon objectif sentimental (une seule jeune fille pour l'existence) m'a rendu très méfiant, et ce n'est que récemment que je suis à nouveau sensibilisé pour l'aventure duale.
Notre complicité écrite est bien plus conséquente que nos affinités orales. La confiance est en cours d'épanouissement, mais pas de brusquerie. L'élan passionné ne m'a pas toujours réussi.
Tes qualités, ta richesse d'être sont évidentes, et il ne faudrait pas grand chose pour que je succombe, mais attendons la rencontre et ses imprévisibles influences.
L'équilibre, jusque là, est difficile à s'imposer entre l'obsession délirante et le détachement timoré.
Ton courrier est, en tout cas, une belle preuve de générosité humaine et de ta valeur féminine fondamentale.
J'attends avec délice ta petite musique épistolaire.
Joyeusement, ton ami.

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Du fond du plumard, le 29.03.96, 0h15.
Sandre sans bâillon,
Réconforté par notre conversation de ce soir. Les émotions se succèdent à toute allure. Une pause dans la complicité renouvelée. Tendrement et sans cynisme, sans provoc., sans parano, sans entreprise de démolitions, je te susurre la plus inénarrable des pensées.
[Je suis une « maudite » potentielle et une « perle perdue » à la fois, les deux extrêmes.]
Maudite, toi ? Hormis une mauvaise blague, je ne serai pas l'auteur de la damnation. Le style fait faire les pires folies.
[Tu m’as fait une déclaration, toi ? C’était pas le truc du clip-clap, rassure-moi ?]
Ma déclaration est une constante sous-jacente dans mes courriers. Tu ne me crois pas aussi piètre nature pour me limiter à une séance de « ça va - ça vient » (référence à Orange mécanique ma douce Sandre, même dans l'obscénité je reste culturel, hé !).
Je poursuivrai mes réponses à l'interrogatoire dans une prochaine missive.
Très gros bisous, charnellement.
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Château d'Au., le 30 mars 96.
Alerte Sandre, celle qui questionne plus vite...
Ravi d'être à mon bureau pour répondre, avec naturel et efficacité, à l'ensemble de tes interrogations.
[On peut avoir des amis dans des domaines professionnels différents du sien, non ?]
Je conçois bien évidemment l'amitié avec des gens d'univers divers. Ma curiosité est trop exacerbée pour que je me prive du plaisir d'entrer dans leur domaine. Humour dérisoire, peut-être, ma descente en flamme du milieu médical.
[Je suis très étonnée, mais non point déçue, de savoir que tu ne possèdes pas ton permis de conduire. Tu vas bien te résoudre à le passer, non ?]
J'entrevois la nécessité de passer ce p... de permis. Mon code, réussi du premier coup, est aujourd'hui périmé. Je m'y remettrai bientôt, par nécessité et non attrait pour les tacots.
[Confidents, nous le sommes, même si je le suis plus que toi : au risque de me faire taxer de désaxée obsédée ? Mais des « chuchotements » : on a fait ça ? Pur fantasme de ta part ou amnésie de ma part ?]
Je crois volontiers à ton oubli de nos chuchotements lors d'une conversation tardive. Mais si, mais si ! tu peux être douce et calme parfois ! (hé !).
[Si le meilleur de chacun est à durée limitée, je suis programmée jusqu'à quand ?]
Ta programmation sera, je l'espère, ad vitam aeternam, mais quelle pythonisse (allez, au dico !) peut nous indiquer les impondérables de la vie ?
[Que sous-entends-tu par féminité, c’est vague et flou ?]
La féminité est aussi difficile à définir intellectuellement qu'elle est facile, pour moi, à ressentir dans les premières secondes de la rencontre d'une jeune fille, jeune femme, etc. C'est la combinaison de nombreux critères (le comportement, l'intelligence, la sensibilité, la gestuelle, la parole, le corps, etc.) qui tendent vers une harmonie, une beauté d'être propre au féminin.
[Ne fait-il pas froid dans ta région ?]
On s’y caille plus facilement miches et gonades, j'en conviens. Mais le froid ne m'a jamais vraiment gêné quand un bon feu crépite.
[Que mets-tu comme parfum ?]
J'ai eu deux parfums importants : anciennement Eau sauvage de Ch. Dior, actuellement Eau de Rochas pour homme (un temps aussi M. de Givenchy, je crois...).
[Ne trouves-tu pas que mon écriture s’améliore ?]
Ton écriture varie selon les supports dont tu disposes, mais dans l'ensemble tu as droit à un bon point... A moins que je ne sois en cours de familiarisation.
[As-tu des ribaudes dans ton château ?]
Parmi ma famille affinitaire, aucune ribaude tu l'imagines. Parmi les employés, je ne suis pas niché dans leurs antres pour le savoir.
[A quoi ressemblent tes appartements ?]
Pour l'instant, pas de lieu définitif dans le château en cours de travaux.
[Que penses-tu de l’association travail-famille pour une femme ?]
Difficile de répondre par une généralité. Avant tout, au cas par cas, voir son bonheur. Combien de femmes prétendument « libres et indépendantes » ne ressemblent qu'à de vieilles guenons éperdues. Du cas par cas dis-je.
[As-tu déjà eu le désir d’avoir des enfants ?]
Dans l'absolu, nimbe facile pour philosopher, oui bien sûr pour les enfants. En réalité, je ne me sens pas du tout prêt, et je n'ai pas trouvé la mère de ces futurs bambins.
[Que penses-tu de l’infidélité dans un couple ?]
Cette question se traite à deux niveaux (pour un homme) : moral et physique. Le premier est une intolérable trahison, le second ne peut s'envisager que par accord fondamental et initial de sa femme. Sinon, cela relève du même verdict. A titre personnel, si mon épouse me comble tous azimuts, je préfère la fidélité réciproque sur tous les plans.
[Pourquoi trouves-tu que tous les hommes ont des aspects vils ?]
Point de misanthropie particulière pour la gent masculine, mais il est vrai que les gars, dès qu'ils sont plus de deux, deviennent souvent sans intérêt, cons de fond... Mais, là encore, pas trop de généralités. Par goût je préfère la compagnie féminine.
[As-tu des fantasmes pervers ?]
A priori, pour l'instant, je n'ai point de dérives sexuelles qui pourraient consister, par exemple, à te faire mettre nue sous ta blouse et à te faire violer par les plus repoussants de tes malades, ou à te déféquer dessus... Non, point pour moi ma délicate Sandre...
[Y a-t-il des actrices qui te fassent rêver ?]
Quelques actrices m'ont particulièrement galvanisé. Liste non exhaustive : Ornella Muti avant tout, puis dans le désordre Béatrice Dalle, Mathilda May, Bo Dérek, Faye Dunaway, etc., Carla Bruni chez les mannequins, Sandre R. chez mes correspondantes...
[As-tu déjà rêvé de moi ?]
Je ne m'en souviens pas. Il devait être trop brûlant pour que la décence de mon inconscient le laisse surgir au petit matin.
Bien saisi ton analyse sur notre petit différend téléphonique. Mûrir, toujours mûrir... hé hé !
Merci de ce que tu es, tendrement.
Merci aussi pour la poésie de cette fille d'un riche cordier lyonnais [Louise Labé] (voilà pourquoi tu l'as connais mieux que moi, hé hé !). Impressions dans un prochain courrier... bisous doux.
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Dimanche 31 mars
3h10. Avancement d’une heure pour se rapprocher de l’été.
Point d’entrain pour remplir ces pages.
Synthèse du moment.

Côté cœur : poursuite de mes correspondances avec Sandre R. et Rachelle M. Petit différend avec Sandre, vite dissipé. L’une près de Lyon, l’autre à Nice, elles sont toutes les deux des amies, complices adorables... Et si l’une devenait un peu plus que cela. Je n’ai rien vécu de sentimentalement important depuis la fin de mon histoire avec Kate (octobre 1993).
Passage au Salon du livre de Paris mardi dernier (seconde visite) avec la très séduisante Karine, copine de séminaire de lettres.
Côté pro. : stagnation des dossiers littéraires. Difficulté pour trouver des subventions afin de les financer. La faute aux magistrats casseurs de politiques. Chaque élu tremble maintenant de débourser pour des projets culturels. Dernier homme politique à avoir fait voter un petit achat d’ouvrages, c’est Alain Carignon lui-même ! Et des maniaques en toge l’ont fait moisir en prison.
J’envoie des courriers aux revues d’histoire pour décrocher quelques collaborations. Advienne que pourra.
Poursuite de la mise en forme de mon mémoire. A-y-est, fini !!!
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Avril

Paris, le 2 avril 1996.
Très chère Sandre,
A mon tour de t'expédier une inspirante carte [Rembrandt, Le Bon Samaritain], signe d'une nouvelle venue des cieux.

La semaine s'annonce comme une grande vadrouille pour visiter coins et recoins de l'Aisne.
Dans l'attente d'être plus prolixe, tendrement.
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Château d'Au, le 3 avril 1996.
Sainte Sandre,
Je te fête ici, avec retard mais intensité. Très touché par ta petite carte en forme d'écrin poétique. Je vais improviser ci-dessous quelques vers libres prenant leur souche dans les lettres de ton prénom :


Saoul dans la fragrance de ta chevelure,
Attisé par l'élégance de ta cambrure,
Noyé d'émotions au rythme des pures
Déclarations, j'effleure le parchemin sans démesure.
Rire, par ta plume ou par tes cordes, je jure
Ici la jubilation éprouvée par cette sonore peinture
Née des joyeux émois de ta pétillante nature,
En hommage ici aux accents rares de ton humaine carrure.


Voilà ma douce, à très vite.
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Le 5 avril 1996.
Touchante Sandre,
Sitôt arrivé dans notre Big Lutèce, une douceur m'attendait. Ton courrier mérite une longue réponse et une réciprocité dans la mise à nue de sa sensibilité.
J'espère que les Pâques se sont bien déroulées.
Tendrement.
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Aut., le 10 avril 1996.
Douce amie Sandre,
Quel plaisir de lire et relire tes multiples courriers et cartes. Tout cela m'est très précieux. A tel point qu'il ne faudrait pas bousculer cette magnifique amitié épistolaire par un brusque changement de nature. Compter l'un sur l'autre, sur sa présence et son affection intense, sur sa complicité et son pétillement, voilà un objectif rare que nous atteignons.
[Rêves-tu de me bâillonner ?]
Grand dieu non ! Ou alors avec une étoffe de soie. Notre doux rapport me comble amplement.
[La vie sans voiture serait pour moi impossible. Pourquoi ce retard ? Tu aimes quoi comme modèle ?]
Jamais eu d'attirance pour ces engins (même si je reconnais leur praticité) et j'adore me faire conduire, mais j'y viendrais bientôt. Dans les voitures de rêve, les Jaguars ont ma préférence.
[Pourquoi ne te sens-tu pas prêt pour une progéniture ?]
Je ne me sens ni assez mûr psychologiquement, ni suffisamment arrimé matériellement pour assumer un nouveau-né. Mais tout dépend aussi de l'antre magnifique qui recevra ma semence... hé hé ! Je ne me sème plus à tous vents !
[Qu’est-ce que tu as bien pu lire à ton frère ?]
Petit passage où tu me disais des gentillesses... mais rien de compromettant sur toi... Ah ! il faut bien soulager son ego de temps en temps.
[Tu connais les Cranberries ?]
J'adore les Cranberries... je ne vais pas tarder à acheter un CD de leur cru. La femme fait des décrochages vocaux fabuleux. Nous en avons déjà parlé, alors je ne radote pas...
Toutes tes photos sont précieusement gardées dans un album perso. Ta petite photo est dans mon portefeuille. Tu es là...
Pour les questions juridiques, je te donne une première impression : obligation alimentaire entre parents et enfants. Obligation de délivrer quittance de loyer... Envois moi copie de ton bail. Je te réponds plus longuement dans une prochaine. Tendrement et gros bisous.
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Au, le 11 avril 1996.
Touchante Sandre,
Reçu ton courrier petit format mais dense de contenu.
Comme promis, je t’envoie copie de notre correspondance de 92. Tu pourras vérifier combien je n’ai pas joué un beau rôle à la fin.
Par manque de temps, je préfère t’expédier ce courrier aujourd’hui et répondre aux différentes questions laissées en suspens une prochaine fois.
Tendres amitiés.
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Château d’Au., le 12/04/96.
Ma Sandre,
Je viens, enfin !, de parcourir les vers libertins (pour le XVIe siècle en tout cas) de cette délicieuse et dévergondée Louise Perrin, dite Labé.
Un dommage de taille : comme pour Montaigne, il conviendrait de moderniser la langue. Que nous importe la forme ancienne : seules comptent la musique poétique de Louise Labé et les réflexions de Montaigne. Laisser en l’état, c’est du snobisme, je trouve. Enfin, je fustige contre les éditeurs, pas contre toi ma douce. Et merci encore.
N’hésite pas à m’envoyer toutes les photos de toi en robe, en salopette ou sans rien. Ce sera toujours un plaisir pour mes mirettes.
Je ne connais pas les étoffes de chez Kenzo. Si tu as des révélations à me faire, ne te retiens pas un brin. Et je te garde comme unique cavalière de juillet.
Curieuse, à première vue, ta peur de me voir, mais je pense te rejoindre sur le fond. Notre échange est tel qu’il ne faudrait pas le malmener par une entrevue mal assumée. En même temps, si tes sentiments ne tiennent qu’à ma non concrétisation, n’est-ce pas ton esprit qui crée l’attachement ? L’idée d’une complicité fraternelle que tu relances me touche, sœurette adorée ! Et ne t’embête pas à venir à Limoges : je n’en vaux pas la peine... hé hé.
[Es-tu très chocolat ? Tu as eu des cadeaux pour Pâques ?]
Le chocolat est une éternelle gourmandise : au lait je préfère. Avec du nougat à l’intérieur : un délice... Je te pique volontiers ta part. Rien eu pour Pâques, si ce n’est ton adorable œuf non comestible...
[Aimes-tu tes parents ?]
Affection certes pour mes parents de sang, mais lucidité et conscience de ce qu’ils ont fait de la famille : un désastre. Jamais ils n’auraient dû se rencontrer... mais je n’aurais pas été là pour m’en féliciter, hé !
Il est minuit dix-neuf du 12 avril... Mes paupières se ferment d’elles-mêmes.
Je t’embrasse et à très vite.
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Le 12/04/96.
Sandre,
Petit complément sérieux sur le plan juridique :
– Problème d’obligation alimentaire enfants-parents (ci-joint photocopie Code civil) ® loi + jurisprudence.
– Obligation de délivrer quittance de loyer par propriétaire : (ci-joint copie de l’article 21 de la loi du 6 juillet 1989).
Je te conseille pour ce dernier problème d’envoyer un courrier en recommandé avec ar au propriétaire en réclamant pour l’avenir que te soit fournie automatiquement une quittance mensuelle du loyer versé. Faire référence à la loi.
Je suis à ta disposition, ma douce, pour te rédiger le courrier.
N’hésite jamais à me demander des renseignements ou à me soumettre tout autre problème.
Ton tendre obligé.
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[Envoi de L’ombilic des Limbes d’Antonin Artaud]
A moi de te faire découvrir ce génial déphasé, détenteur d’une écriture organique, coucheur de pensées pures. Je ne l’ai connu qu’après avoir écrit ma poésie. Une rencontre littéraire comme avec Bloy et Léautaud.
Bonne lecture tourmentée.
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Samedi 13 avril
Passages toujours aussi rares. Je me force à remplir ces pages. A l’origine, j’avais débuté ce Journal pour ne pas perdre le lien avec l’écriture. Il est en effet le seul genre littéraire (hormis l’épistolaire) qui ne se charge pas des difficultés de la créativité. La narration de son existence et la transcription de ses pensées suffisent. L’unité, c’est sa propre vie.
Actuellement, je mobilise ma plume pour mon mémoire de lettres et pour une correspondance abondante avec une délicieuse et pétillante jeune fille : Sandre R.
Je dois aller la voir le week-end prochain.
J’avais eu un bref lien épistolaire avec elle en 1992, mais interrompu de mon fait au bout de quelques mois. Mes vœux envoyés pour 1996 ont permis de renouer avec elle. Je ne manquerai pas le coche une seconde fois.
Evénements familiaux : Line, ancienne épouse de Heïm, a téléphoné à Hermione, agressive envers le château, persécutrice, voulant « sauver » sa fille. Pitoyable !
Après enquête téléphonique, Heïm apprend de Mme C (ancienne belle-mère) que Alice et son mari se rendent depuis huit mois chez eux. Heïm avait annoncé ce danger. Explication de tous les problèmes que nous avons : dernièrement, lettre anonyme envoyée au Crédit foncier qui a financé l’achat de l’immeuble sis avenue Roger Salengro à Chaulnes.
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Château d’Au, le 15/04/96.
Ma bien-aimée complice,
Je viens d’achever mon déjeuner dans le parc du château en cette magnifique journée printanière. Les oiseaux chantonnent de toutes parts autour de moi, quelques croassements plus lointains me rappellent qu’il faudra trucider quelques corbeaux pour qu’ils nous laissent en paix ; le soleil me chauffe les bras et la tête.
Ravissement de notre dialogue d’hier au soir. Fondamental penchant pour toi Sandre, et bonheur immense de venir te voir à la fin de cette semaine. Le bien que tu me fais par ce que tu es va peut-être faire s’évanouir cette méfiance qui ronge souvent mon rapport aux autres.
Je reprends tes derniers courriers pour remplir mon vœu de transparence.
Ta carte des amants enlacés de Klimt constitue-t-elle un appel ? Elle m’évoque la phagocytose plus ou moins digérée de deux humanoïdes en rut. Tu apprécieras mon sens de l’art moderne, sans vouloir te choquer.
[Tu es très mignon quand tu oublies des mots dans ta jolie prose.]
Voudrais-tu me dire où j’ai fait des cochonneries, hé hé... aurais-je oublié quelques mots dans une de mes correspondances ?
[Je vais t’offrir un coffret à missives, tu vas en avoir besoin ?]
Je veux bien d’un joli coffret peint par toi, ma généraliste préférée.
[Tu trouveras dans cette lettre les poèmes dont je t’avais parlé. C’est ma foi bien romantique tout ceci. Décalé par rapport au quotidien barbare.]
Merci pour ces jolis vers que je vais m’empresser d’ingurgiter dès que Chronos m’en laissera le loisir. J’ai au château une panoplie de poètes à ma disposition, et donc à la tienne. Emets tes désirs et je m’efforcerais de les réaliser.
[J’ai eu plein d’œufs en chocolat, je vais devenir une grosse dondon si je les mange tous. Tu ne veux pas m’aider ?]
Je suis à ta disposition pour dévorer toutes tes confiseries, y compris ton délicieux berlingot... (oh le cochon vingt dieu !). (Gros rire gras après une bâfrée de frites...)
[Tu aimes le foot ?]
A crénom de bordel d’enflure de cacatoès de sportifs à la noix véreuse ! J’abhorre le foot...
[Comment s’appellent les chiens du château ?]
Belle la chienne, Théo et Patouf-chien les deux mâles. Moi c’est Loïc, mâle aussi.
[Connais-tu Edvard Grieg, Sibelius ? J’oubliais Debussy.]
Je suis très nul en musique classique, mais je ne demande qu’à apprendre... J’ai une amie à Paris qui est violoniste...
[Connais-tu Saint-Honorat et Sainte-Marguerite ?]
Elles ne m’ont pas été présentées...
A tout de suite ma Sandre.
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Du train Paris-Laon, le 23/04/96.
Immanente Sandre,
Bien calé dans la banquette du monstre d’acier, Sting en rythme dans mes cavités aux trois osselets, j’active la bille, à défaut de plume.
Week-end de révélations pour moi qui n’ait pas de tendance mystique. Ta rencontre m’a fait un bien précieux. Tes qualités fondamentales d’intelligence, de sensibilité, de féminité, de pétillement, de sensualité prête à se dévoiler, de rigueur fleurant bon l’intégrité naturelle, m’ont confirmé dans mes présages. Le désespoir constructeur qui t’anime, attitude typiquement aristocratique, intensifie cette symbiose naissante entre nous. Je sens tout simplement que tu peux me rendre heureux, utilité essentielle donc de notre rencontre, au contraire de ce que tu semblais redouter.
A moi de surmonter mes atermoiements et de modérer les effets d’une quête vaine de l’entéléchie féminine. Ce conflit intérieur se dissipera, je l’espère, face aux belles perspectives que tu pourrais m’apporter. Mon besoin charnel de toi sera un des éléments déterminants, et je devine en toi des potentialités qui n’attendent qu’à s’épanouir.
A toi, aussi, de me dire sans fard ce que tu attends et espères de moi.
La douceur enivrante d’une mélodie, la mélancolie troublante d’instants partagés, et me voilà glissant vers les songes, bercé par le tangage ferroviaire...
A toi, ma tendre, pour le meilleur.
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Le 24 avril 1996.
‘tite Muse, Sandre douce,
Un petit présent pour toi en hommage à toutes les touchantes choses que tu m’as écrites. J’espère que la chute de la dédicace que je t’ai écrite dans ce recueil ne te choquera pas... C’est une coquinerie facile, mais une gourmandise de toi bien réelle.
Par manque de temps, je ne peux t’inscrire tout le bien que tu me fais... mais sache que mes pensées vont intensément vers toi.
Je t’embrasse très tendrement ma douce...
[Dédicace sur un exemplaire de Heïm et les gros niqueurs.]
"A toi ma Sandre,
Ce recueil de textes au vitriol, joyeux, turbulents et incisifs ; Heïm et les gros niqueurs va à l’encontre du monde des « mollusques » que tu abhorres...
Très tendrement...
Si j’osais... Ton doux niqueur... avec tout son amour."
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Jeudi 25 avril
17h25, Au. Je prends le train de 19h12 à Marle-sur-Serre pour Paris via Laon. Demain, départ pour Limoges où se tient un Salon du livre pendant trois jours. Je retrouverai Madeleine Chapsal qui a très gentiment accepté de préfacer un ouvrage de référence sur le Limousin que nous allons rééditer. Nous profitons de l’importante manifestation culturelle (500 auteurs invités, 100 000 visiteurs attendus) pour lancer la souscription de cet ouvrage.
Les frais des auteurs, auxquels je suis assimilé, sont pris en charge par la mairie de Limoges (train, hôtel, restauration).
Mon week-end avec Sandre s’est merveilleusement passé. Découverte d’un petit bout de jeune femme adorable et réunissant les qualités principales que je recherche chez une demoiselle.
Elle respire l’intelligence, l’intégrité, la rigueur et le pétillement. Tous ses comportements me sont doux. Sa sensualité et son épanouissement à venir laissent présager un équilibre fondamental sur le plan charnel.
Depuis mon retour dans le nord, ses lettres sont véritablement enflammées. Je crois pouvoir envisager une relation très sérieuse et très joyeuse avec ma Sandre en braise. Enfin, ce bonheur dans l’amour, l’aurais-je rencontré ?
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Train en partance pour Limoges, le 26 avril 1996
Sandre, mon aimée,
Dans mon gros cartable noir, un dossier spécial avec les cinq cartes et lettres reçus depuis lundi, et le nécessaire pour te répondre.
Juste avant mon départ, je trouve dans ma b.a.l. un paquet déjà familier. Merci ma Sandre adorée pour ce joli livre et pour sa tendre dédicace. Mes bagages, déjà au complet, n’ont pu l’accueillir, mais je m’empresserai de découvrir l’histoire de la capitale des Gaules à mon retour.
J’ai donné ta photo prise au château de Blois à reproduire en deux exemplaires : une à découper pour mon portefeuille, l’autre pour mon album. Ainsi, entre tes écrits et ta silhouette, tu m’accompagnes à chaque instant.
Sandre ma ravissante, l’alchimie de tes mots passionnés, la fraîcheur de tes exclamations attentionnées, l’élan sans ambages de chacune de tes phrases m’emplissent d’un bonheur depuis longtemps espéré.
Je vais à nouveau m’adonner à l’un de mes grands plaisirs : répondre à tes multiples interrogations. Dissiper tes angoisses sous-jacentes est aussi un devoir.
Je voudrais en effet que ce rapprochement mutuel, où la fusion serait comme un horizon sans cesse renouvelé, dévoile nos vies, nos tourments, nos pensées, nos saillances existentielles. Belle Sandre, je te désire dans tout ce qui te constitue, dans tes arcanes les plus inénarrables, dans les sédimentations de ton âme et de ton passé, dans ton corps à apprivoiser...
Ne crois pas que je me réduise à l’un de tes songes. Je suis, chaque jour, plus ancré dans ton existence. Persécuteur, oui, pour que notre amour se charge des plus enivrantes couleurs. Ces « germes d’amour », comme tu l’écris, n’ont rien de la pousse éphémère. Prenons exemple sur les cèdres bleus que nous avons vus ma Sandre, et que les années nous rendent magnifiques.
Mon désir de toi se révèle aussi corporel, faire exulter tes antres, boire à tous tes calices, te réchauffer par mon corps et mon fluide... Une correspondance coquine avec toi serait peut-être le moyen d’entretenir nos brasiers charnels... et le plaisir dualiste doit aussi pouvoir s’incarner en discours et en écrits. Nous sommes en cours pour être l’un à l’autre, ne nous refusons pas ce qui est un des éléments importants de notre lien. La géographie nous distancie, mais nous vivrons nos émotions par ce moyen de toujours.
Chaque ouverture de tes enveloppes me réserve un bien supplémentaire, et c’est trois-quatre fois que je lis ta petite musique épistolaire. Et des mots aux gestes, ta sagesse restera celle de ton intégrité humaine, de ton sérieux et de ta morale. Nos ébats rimeront avec don de soi.
Je vais profiter de ce week-end du livre pour me laisser bercer par tes poètes préférés.
[Quelle est donc cette « quête de l’entéléchie féminine » ?]
C’est la volonté de dénicher la muse de ma vie, qui m’inspirera au plus haut point dans sa vie, son âme et son corps. L’existence rabat les recherches d’absolu... Mais peut-être que par toi je rejoindrais ce point de mire...
[En quoi ton « besoin charnel » de moi sera-t-il un « élément déterminant » ?]
Je suis un coquin-né, un gourmand des plaisirs sensuels et sexuels, et j’ai toujours été obligé de brider mes instincts : soit que la jeune fille était moins délurée que moi, soit que je ne la désirais pas assez, soit que le caractère éphémère de la relation privait de l’essentiel tout rapport. Avec toi, je sens que ces trois points ne s’interposeront pas et qu’une dimension supérieure embrasera nos enlacements.
Je commence à éprouver une forme d’enchan­tement. Ta présence, quelle que soit sa forme (tu peux aussi m’enregistrer des cassettes de ta voix) est devenue essentielle à l’équilibre de mes jours. Ton corps reste encore pour moi dans une nébulosité nocturne, mais de ce que j’en ai goûté j’en suis déjà accroc...
[J’aimerais te voir souvent, l’attente est difficile. Pourquoi ne résides-tu pas à Lyon ? (Sourire)]
La distance est certes ennuyeuse, mais je veux que tu achèves tes études. Venir m’installer à Lyon ou toi à Paris, au-delà du bonheur quotidien, ne nous aiderait pas dans les tâches que nous avons à accomplir. Je sais que tu blaguais, mais je sais aussi que nous avons tous les deux profondément envie de cette vie commune... J’essaie de mettre un peu de raison dans tout cela, héhé ! Et la préservation farouche de ton indépendance ?
[Est-ce que nos étreintes te manquent ? N’as-tu pas de limites dans les draps de tes alcôves ? As-tu déjà écrit des lettres d’amour ?]
Oui tes étreintes me manquent, la danse de tes courbes, le nacre de tes jambes, le velours humide et brûlant de ta bouche et de ta petite chatte, les petits cris aigus que tu me réserves... Oh, oh là, on se calme...
Point de limite dans notre alcôve, si ce n’est celle de nos propres plaisirs... Nous avons tant de choses à découvrir ensemble... c’est l’œuvre d’une vie. J’espère qu’à la lecture de ces lignes tu percevras la dissipation de mes incertitudes.
Je n’ai personnellement que peu écrit de lettres d’amour... Je suis d’instinct plus porté au déconnage ou à la réflexion littéraire... Mais je me sens en mutation, grâce à toi.
[Seuls tes tourments intérieurs te font donc peur ?]
Je crois que tu as bien saisi : c’est de moi que je dois me méfier, et non de toi, mais je connais ma capacité à me diriger en état de croissance. Si inquiétudes ou doutes il y a, tu en seras la première informée.
Mon train passe en ce moment à Vierzon. J’espère t’avoir rassuré sur mon penchant et te retrouver dans mes bras très bientôt.
Je vais reprendre les Mémoires interrompus de François Mitterrand, commencés hier lors de mon voyage de Laon à Paris et fort passionnants. Le politique n’est vraiment pas dans mon cœur, mais le destin de l’homme, son amour charnel pour la France et la stature d’homme d’État qu’il a acquise me réconcilient avec celui que je surnommais dans mes chroniques, un peu affectivement ma foi, Fanfan mité.
Sur ce, je pense toujours à toi, Sandre, ma bien-aimée. De brûlants baisers.
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Le 29 avril 1996
[Carte avec le tableau Moisson de Karl François Daubigny]
Sandre braisée,
De retour dans les vieux murs de la nationale, j’ai à mes côtés ta délicieuse et très jolie carte au nœud rouge. Sans écrit nouveau de toi depuis vendredi (non inclus) je commençais à être en manque.
Petit paysage champêtre pour te rappeler nos déambulations dans la bourgeonnante nature.
Je pense pouvoir venir le vendredi suivant, le 8 mai.
Baisers goulus.
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Laon, le 30 avril 1996
[Carte avec le tableau La méridienne (d’après Millet) de Vincent Van Gogh]
Une envie de foin avec toi ma Sandre adorée (pas en deux mots, hé hé) ? P’têt’ ben. Je retourne au bercail et je vais mettre un coup d’accélérateur à la rédaction de mon mémoire.
Limoges nous a reçu comme des princes, mais je me suis senti un peu seul sans ma belle lyonnaise. Une touche de bleu pour toi, aux antipodes des Vents de gogues de mes chroniques.
Tendrement.
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Mai

Château d’Au, le 2 mai 1996.
Ma tendre Sandre,
Après un déjeuner du 1er mai qui s’est prolongé une dizaine d’heures, je reviens avec des frissons d’amour vers toi, ma douce.
[Pourquoi ce nom de poisson, par analogie à Sandre ? Ou pour me tendre une « perche » : c’est fin comme ma chair !]
J’officialise l’explication que je t’ai donnée pour le petit nom Sandre. Au-delà de la simple réduction de ton joli prénom, je faisais allusion par homophonie au chat gris que tu as recueilli partiellement, le capricieux Cendre. Mais je ne renie en rien ton propre apport à l’exégèse : la finesse de ta chair et l’excellence des antres valent bien la succulence du poisson acanthoptérygien. Ceci simplement écrit...
[Tu ne pourrais pas m’envoyer une jolie copie de toi ?]
J’essaie, dès que possible, de te dénicher une belle vue panoramique de ma géographie... En espérant que tu n’aies pas le vertige ma Sandre... Faut bien que j’me fasse un peu de bien comme je n’ai pas reçu de parchemin sandré aujourd’hui.
[Connaître quelqu’un à un point x est à mon avis un peu réducteur. Je préfère une vision d’ensemble, version grand angle.]
Pour ne pas cultiver l’opacité de mon passé, je te prêterai la tranche de vie consignée dans mon Journal tenu depuis août 1991. Tu m’auras à l’état brut. Tu découvriras le gâchis exemplaire sur le plan sentimental et professionnel. Que cela ne t’éloigne pas de moi, car je ne suis plus le même qu’en 1993 et 1994...
[Nos « brasiers charnels » ont ils besoin d’être entretenus véritablement ?]
Cet entretien ne doit pas s’envisager comme un devoir mais comme un plaisir. Nous tendons à être l’un à l’autre, ma gourmandise sensuelle et sexuelle t’est donc toute entière dédiée...
Je te crois foncièrement saine et équilibrée lorsque tu es en confiance. Je ne me fais aucun souci pour nous sur le plan de la communion des corps et des esprits. « Aristocrate dans la vie, salope dans mon lit » comme dirait Heïm...
[Pourquoi dit-on Byzance pour l’abondance de quelque chose ?]
Allusion directe à sa puissance commerçante après son indépendance (358 av. J.-C. ). Ce n’est qu’en 330 ap. J.-C. qu’elle est intégrée à l’Empire romain et choisie comme capitale par l’empereur Constantin, d’où Constantinople.
Tu vois que je sais rester sage.
A très vite... toutes mes caresses sur ton corps, tous mes baisers...
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Vendredi 3 mai
0h53. Je quitte à l’instant ma Sandre. Notre rapport est un enchantement : douceur, complicité... Elle est très sévère sur elle et son apparence physique. Même...
Pas très inspiré ce soir...
Dimanche 5 mai
Je reprends mon éloge à Sandre. J’ai eu droit à plus de cinquante lettres, depuis la mi-janvier, et ma rencontre avec Sandre m’a confirmé dans mon penchant pour elle. Un visage fin et sculptural, un peu sévère, un corps d’adolescente, doux et enivrant, et une âme de princesse. Je retourne la voir jeudi prochain. J’ai reçu, sur ma suggestion, deux cassettes de sa voix, ce qui me permet de m’endormir avec elle... J’espère savoir correctement l’aimer, et ne pas céder à mes atermoiements habituels.
Le Salon de Limoges s’est excellemment déroulé. Madeleine toujours aussi affectueuse et attentive ; Julie S., l’interprète de ses poésies, aussi complice.
Plusieurs contacts intéressants : Gonzague Saint-Bris à l’occasion d’un déjeuner au Bœuf rouge, le journaliste et grand reporter Jacques Derogy présenté par Madeleine, de grands sourires d’Eve Ruggieri et beaucoup d’autres moins connus.
Dans le train Limoges-Paris, Louise Longo, femme au destin tragique, s’assoit en face de moi. Bien qu’ayant perdu en 1994 son ex-mari et sa fille de huit ans en pleine mer, elle garde une foi admirable en la vie. Nous échangeons nos coordonnées après deux heures de conversation tous azimuts. Je la sens ému aux larmes lorsque je lui parle de l’intensité de la correspondance amoureuse que j’entretiens avec Sandre. Ses propres souvenirs catalysent ses émotions. Après Jacqueline Kelen, rencontré dans les mêmes conditions, le train Limoges-Paris me porte chance.
L’actualité n’emballe pas vraiment. Rien qui ne mérite une verve au vitriol.
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Le 6 mai 1996.
La suite de mes déambulations ma tendre Sandre. [Journal joint]
Oublié de te dire que tu pouvais écrire sur ces pages toutes les remarques, annotations, questions et réflexions (ou émotions) qui passent par ton esprit fertile.
A très vite ma Sandre d’amour.
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De la B.N., le 13/05/96.
Ma Sandre,
Déjà l’absence de ta silhouette m’est pesante.
Sitôt débarqué à la gare de Lyon, j’ai filé à la Nationale, et me voilà cherchant des localités du Rhône qui pourraient avoir besoin de l’exhumation d’un livre sur leur histoire.
Nous allons chacun reprendre nos rythmes après ces trois jours (et quatre nuits) d’une merveilleuse douceur.
Merci à toi de ce que tu es. De chaudes pensées et de doux baisers.
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Paris, le 14 mai 1996.
[Carte postale : photo d’Auguste Renoir dans sa propriété de Cagnes-sur-Mer, 1915.]
Amour de Sandre,
Renoir comme cordon ombilical de nos lumineuses figures sensuelles. Il aurait fallu saisir ces saillances fusionnelles pour tracer comme un horizon charnel.
La beauté d’être et la fraîcheur d’aimer, voilà ce qui m’incline vers toi.
Older de George Michael berce ma plume.
Ton prétendant.
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Le 14 mai 1996.
[Carte postale : photo de Louis-Ferdinand Céline à Meudon, 1955.]
Pour toi ma tendre Sandre,
Ce cher docteur Destouches et un charmant minou en pleine pose.
Avant de reprendre mon train corail à destination de Laon, les échos de ton touchant message faisant encore frémir mes trois osselets, je t’adresse mes plus déterminés sentiments d’amour, et les baisers des plus frôlés aux plus voraces.
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Quelque part dans un train, le 14 mai 1996.
Ma Sandre,
Plus au calme, je vais pouvoir remplir ces petits carreaux qui te sont dédiés comme autant de pores ouverts pour mieux te respirer.
Avant tout, l’actualité musicale : l’album dernière cuvée de George Michael, Older, est f.a.b.u.l.e.u.x. : la créativité qui s’en dégage, la profonde harmonie des mélodies, le timbre presque mystique de son chant, tout cela inspire au plus haut point. Si un soupçon de désir t’effleure, je peux te faire parvenir un enregistrement sur cassette. Nous aurons ainsi les mêmes musiques pour nous bercer.
Lu ton courrier qui devait m’arriver avant mon départ. J’espère qu’après cet enchanteur week-end prolongé tes angoisses se seront dissipées.
Comme toujours, ta curiosité tous azimuts me contraint (hé hé) à camper le rôle de l’informateur. Ma plume se fait un peu appuyer sur la pointe pour laisser s’écouler la noire, mais je me lance.
Une myriade de choses nous restera à faire lorsque je serai de retour dans ton Lugdunum que je désirerais plus ensoleillé, même si nous brûlons de l’intérieur : un ciel bleu n’a jamais fait ombrage aux truculences amoureuses.
Déambuler dans le musée Saint-Pierre à la recherche de quelques-uns de tes souvenirs, grignoter ensemble bien nichés au coin de l’Orangeraie, s’oxygéner de serre en serre... petit panorama de ce qui nous réunira bientôt.
[Aimerais-tu me voir avec mes lentilles, ou cela n’a-t-il pas une grande importance... à tes yeux ?]
Bien sûr que je préférerais tes yeux sans obstacle, à nu. Je n’ai pas encore eu ce privilège, hormis lors de nos communions corporelles. Réserve leur port, si tu ne les supportes pas pendant de longues durées, lorsque nous sortons, ton charme en sera grandit. Mais tu es aussi adorable avec tes discrètes rondes...
[Tu n’as aucune nouvelle de Alice ? Quel âge a-t-elle aujourd’hui ?]
Je n’ai pas de nouvelles précises de dame Leborgne depuis fin 1994, et je ne m’en plains nullement. Je sais seulement qu’elle a repris contact depuis quelques mois avec sa mère Line., ce qui n’est pas le signe d’un quelconque changement d’attitude. Qu’elle aille au diable, je m’en bas les gonades. J’ai fait mon autodafé de son souvenir. Elle a dû avoir 31 ans en janvier 1996.
[J’aimerais bien voir à quoi ressemble ta chambre ; tu connais mon environnement familier, pas moi.]
Je ne sais si le pied-à-terre parisien vaut le détour pour y trouver quelques traces de ma personnalité. Ce grand placard fonctionnel n’est pas de mon cru pour la décoration et l’ameublement, et je n’y ai laissé que le strict minimum. La plupart de mes affaires sont encore dans des cartons au château. Dans l’attente d’être plus solidement installé.
Hélène T., ma logeuse, ne voit aucun inconvénient à ce que je t’accueille, même si elle est présente.
Voudrais-tu m’expliciter sur quels points les garçons ne te comprenaient pas ? Et pourquoi ai-je moi ces clefs ? La progression de notre relation est-elle à ton goût ? Où trop précipitée ?
[La cassette de la douche t’a amusé et « puis autre chose », c’est quoi donc ? Cela t’a donné envie de moi ? Juste un peu d’eau suffit ?]
La scène (auditive) de la douche m’a en effet permis de passer un très bon moment compensatoire avec un ersatz de ta présence.
[On aura besoin d’une voiture là-bas, pour se balader ?]
Pour notre voyage à l’île de Ré, je crois qu’il serait préférable de disposer d’un véhicule pour nos commodités de déplacement. [...]
Voilà le tour des questions de ta dernière lettre reçue à Paris. Les moments que nous avons partagés sont intensément survivants dans mes fibres. Je nous présage beaucoup de douceurs à venir et l’inexorable rapprochement.
Cette correspondance tempère notre séparation spatiale et enrichit notre découverte réciproque aux bornes inaccessibles.
Je te souffle mes plus fruités baisers voyageurs. Tendrement tiens.
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Château d’Au. le 17 mai 1996.
Ma Sandre,
Très ému par ta carte au coquelicot. Je t’aime mon bébé, et rien de négatif ne doit germer en toi. Je suis aussi là pour t’aider dans les moments difficiles, même si ma réaction à chaud dramatise trop.
Point d’ombre pour moi, juste l’envie que ton combat réussisse.
Je reviens à tes courriers antérieurs toujours, à mon grand plaisir, truffés d’interrogations.
[Je ne t’ai pas parlé des détails concernant ma marâtre de mère : une autre fois.]
Je souhaiterais bien, en effet, connaître ces problèmes : que tu me les révèles au creux de l’oreille ou sur une page.
[J’espère, à l’avenir, devenir aussi coquine que tu le voudrais.]
Je ne doute en rien de tes capacités à la coquinerie. C’est moi peut-être qui veut trop tout de suite... J’essaierais de prendre ton rythme.
[Mad m’a demandé si cela ne t’avait pas trop perturbé de la voir ? Je ne le pense pas.]
J’ai bien évidemment été très heureux de rencontrer ta mad. Je comprends ton attachement profond à elle et la fidélité qui vous lie.
[Trouves-tu chevaleresque de me laisser rentrer seule chez moi cet été ?]
Ce n’est en effet pas très élégant de t’abandonner pour le retour de l’île à Lyon... Nous en reparlerons. Peut-être serait-il plus pratique que je reprenne un train depuis chez toi...
[Allons-nous nous voir que tous les mois pendant ce couple d’années ? Structure rigide dans ton esprit ? Comment vais-je juguler mes ardeurs à ton égard, tendre démon ?]
La fréquence de nos entrevues est pour moi essentielle à équilibrer. Cela, malheureusement, ne dépend pas simplement de nos désirs, sinon je serai toujours fourré (en tout bien, tout honneur) chez toi.
Je t’envoie, comme tu as pu t’en apercevoir, un assortiment de photos... les grandes ont été prises par Madeleine Chapsal lors de notre visite du château du Reynou (cf. mon Journal).
[Par quoi vas-tu remplacer tes séances de spéléo. nocturnes ? (Rires)]
La spéléo. corporelle me manque, en effet, mais je repense souvent aux mouvements délicieux de ton majeur sur... Une danse enivrante.
[Penses-tu que je puisse porter ma capeline noire pour le mariage ?]
Que tu vas être jolie avec... Si en plus tu avais une petite cape pour femme (dans les beiges)... ce serait un délire.
[Tu as quoi comme arbres fruitiers dans ton verger ? As-tu un potager ?]
Beaucoup d’arbres fruitiers que nous avons plantés : chaque arbre donnera une espèce différente de pommes, poires, abricots, mirabelles, cerises, prunes, etc. L’avenir s’annonce fruité.
Nous avons un potager... avec tout plein de choses...
[J’ai reçu ta tendre carte. Une nouvelle douceur.]
Pour la noce de la carte, ce n’est bien évidemment pas une coïncidence... Rien n’est laissé au hasard ma Sandre...
Je n’ai pas compris de quelle sorte de virginité tu m’as fait présent. Pourrais-tu éclairer ma lanterne ?
Je t’aime, et pas pour de rire ! Tendresses et baisers.
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Dimanche 19 mai
Le week-end dernier avec ma Sandre (du jeudi soir au lundi matin) s’est divinement déroulé. Un temps de chiottes à Lyon, mais une illumination que de vivre avec elle.
Les jours passant, j’aime davantage cette jeune femme. Elle est au fond tout ce que j’attendais pour une symbiose sentimentale : douceur et pétillement, intelligence et sensualité... Je nous crois bien engagé pour construire ensemble notre avenir.
Oublié d’indiquer la gentillesse de Madeleine Chapsal qui nous invite, Sandre et moi, à venir cet été dans sa maison de l’île de Ré. Nous devrions y filer une semaine après le mariage de Nadette M. les 13 et 14 juillet.
Heïm m’a confié la mise en place et les contacts à prendre pour une œuvre énorme, en sept volumes, de la fin du XIXe, sur le Cher : le fameux Buhot de Kersers. Nous devrions, par ailleurs, lancer un magasine mensuel en septembre prochain intitulé Histoire insolite, tiré entre 10 000 et 30 000 exemplaires et distribué par les NMPP. Je serai chargé des questions juridiques, des contacts avec le diffuseur, les institutionnels pour la publicité et la rédaction d’articles.
Ma correspondance avec ma Sandre d’amour ne se tarit pas. Témoignage fabuleux de l’intensité de notre relation, malgré la séparation géographique.
Elle vient en fin de semaine prochaine pour le week-end de Pentecôte. A Lutèce tous les deux, pour le meilleur et pour le sublime.
Rien de passionnant dans les médias et leur sélection pour l’actualité. A signaler la sclérose à tendance monomaniaque de Canal +, notamment dans ses émissions en clair du midi et du soir. Ça devient de plus en plus une chaîne au service du Pote système : anathèmes prémâchés envers les uns, complaisance systématique envers les autres, copinage intrinsèque.
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Train Laon-Paris, le 20/05/96.
Ma Sandre que j’aime,
Ne lésinons pas, le temps passant mon attachement à toi va croissant. Ma semaine va se tendre vers ce vendredi 23h05 à la gare de Lyon de Paris.
La complicité que nous avons à partager est sans borne. J’espère que tu ne me tiendras pas rigueur de la petitesse du nid-à-dodo et de son aspect qui n’est pas aussi impeccable que ton adorable appartement.
Rôle inversé, c’est moi qui te reçois et je tenterais, si le temps le permet, de te dévoiler les charmes de la capitale. A quand remonte ta dernière venue à Paris, et vers quoi vont tes préférences pour ce week-end ?
A tout de suite ma douce.
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Le 21 mai 1996.
Ma Sandre attendue,
Juste avant de choper mon Tchou-Tchou je te griffonne quelques mots.
Touchantes, de plus en plus, tes lettres, je les découvre avec une gourmandise accrue.
La tradition ne se perdant pas, je calque mes déambulations épistolaires sur tes inextinguibles interrogations.
[J’étais mal hier soir, j’ai pris un somnifère pour m’endormir, as-tu dormi toi ?]
Après notre conversation sur tes tracas médicaux, je n’ai pas été très serein, je dois l’avouer, mais mon sommeil ne s’est pas perturbé, car notre combat nous unira d’autant plus.
[As-tu fini de lire ton gros pavé ?]
Je n’ai pas achevé Renoir, l’ayant laissé dans mon nid parisien. Hélène T. ma logeuse, qui s’intéresse à la peinture, l’a adoré. Je le déguste par petites touches colorées, ce bel ouvrage.
[As-tu bien avancé ton mémoire ?]
J’ai débuté la rédaction de la deuxième partie, et j’espère avoir achevé ce brouillon rédactionnel à la fin juin. Je suis pris également par le lancement d’un mensuel Histoire insolite, dont je te reparlerai.
[As-tu déniché des trésors enfouis à extraire du passé de Lugdunum ?]
Rien encore cherché sur ton Lugdunum...
[As-tu lu mon livre-souvenir ?]
A quoi fais-tu allusion ? Serais-je déjà en liquéfaction neuronale ?
[Tu as des idées pour la fête des mères ?]
Non point. Pour ma maman, le meilleur des cadeaux serait qu’elle retrouve un travail...
[Tu as « massacré » les tampons attenants aux timbres, ça n’a plus de valeur (sourire). Ce n’est pas grave, c’est gentil de me les avoir envoyé.]
Désolé pour les timbres, je suis un peu balourd des paluches dans le découpage...
[Merci pour tes deux cartes même si je préfère, tu t’en doutes, celle de Renoir.]
Céline n’est donc pas dans ton cœur ? Que t’a-t-il donc fait ?
[Tu m’imagines en muse posant pour un inspiré du pinceau ?]
Certes tu n’aurais pas été un bon modèle pour Rubens, mais d’autres apprécient les lianes félines.
[Tu engraisses autant tes chats que celui de la photo ? (Rires)]
Nos chats bougent beaucoup et ne s’empâtent pas...
Désolé ma douce, à 17h30 je dois retrouver mon train.
Tendrement tiens.
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Au, le 22 mai 1996.
Sandre ma radieuse,
Je reprends mon questionnaire d’hier laissé en suspens.
[Pourquoi as-tu les clefs ? Parce que c’est toi, c’est bête, mais c’est juste. Tu n’es pas brusque, mais fougueux, grande différence. Tu as su toucher mon esprit, mon âme, avant de caresser mes courbes. Tu ne privilégies pas l’un au dépend de l’autre. C’est ça la clef : la communion est totale, s’inscrivant dans une globalité, et rien n’est « amputé ». Il n’y a pas le côté égoïste, sans écoute, et il y a un prolongement naturel entre la vie privée et celle de la cité. Tu ne me manifestes pas de l’intérêt que dans un lit. C’est un vrai partage, échange, et non pas un truc « fun ». J’admire la façon dont tu veux conduire ta personne vers un but, ta façon de m’écrire. Tu as la capacité de me troubler que beaucoup n’ont pas. Tu es droit. Ta parole donnée a de la valeur à mes yeux, alors que beaucoup en usent pour un oui, ou un non. C’est ce romantisme impétueux, cette fougue amoureuse, ce soin que tu as de moi, qui forment un tout. Tu ne m’obliges en rien. La transparence et la franchise dans nos discussions, nos paroles. La légèreté de tes caresses. Tu ne dissimules pas, tes sentiments sont réels, et ne sont pas un prétexte pour abuser de moi. Tu ne triches pas. Ce sont toutes ces choses qui font que je t’aime grandement. Je ne peux te dire, de façon précise, pourquoi j’ai le sentiment que c’est toi que j’attendais depuis si longtemps... Tu es le « concentré » de mes rêves depuis l’enfance. Je perçois une noblesse d’âme en toi mon Loïc. Ce Graal... Tu incarnes un esprit chevaleresque.]
Ton portrait de moi est infiniment touchant. J’espère démontrer dans les années qui viennent qu’il se justifie. Tu deviens essentielle ma Sandre, tu reposes mon âme et vivifies mes sens.
Se surveiller toujours, être à l’affût de sa propre médiocrité latente, guetter les chouïas d’affadissement pour, d’un coup salvateur, repartir : tels sont nos devoirs. T’aimer, tel est mon plaisir.
[Le format des photos n’est pas courant, mais c’est bien. C’est à ton image. Je te les rends vendredi, d’accord ?]
Les photos sont pour toi ma Sandre. Je demanderai à Madeleine Chapsal de nouveaux tirages des vues panoramiques. Je possède une très grande photo de moi (prise par Kate) où je trône, tel un corsaire, chemise blanche au vent, devant un navire... d’Euro-disney. Halte au mégalo !!!
[Tu ne voudrais pas que nous fassions des photos ?Au lieu d’avoir chacun des photos de l’autre, avoir une photo de nous. Je préfère le noir et blanc pour les portraits : le côté intemporel. Là, c’est moi qui va trop vite ? (Sourire)]
Je serais enchanté de figurer à tes côtés pour l’éternité en noir et blanc... J’ai une amie photographe qui pourrait nous prendre. Sinon, as-tu l’idée d’une autre personne pouvant acquitter cette tâche ?
[Le week-end prochain je pense que la spéléo va être difficile de réalisation, non ? (Rires)]
La spéléo chez moi est une chose tout à fait possible si tu consens à respecter la loi du silence... S’empêcher d'exploser attise encore plus le plaisir des profondeurs. Rien que d’y penser, j’en salive ma Sandre.
Pour cet été, hormis notre escapade à l’île de Ré, je ne sais pas si je pourrais prendre une autre semaine. Ce sera plutôt des week-ends prolongés. En août nous pourrions aller voir ma grand-mère ensemble.
Sur ce, je t’envoie des myriades de doux bisous.
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Le 23 mai 1996.
Virevoltante (attention, pas au sens figuré !) Sandre adorée,
L’auras-tu, ne l’auras-tu pas avant ton départ ? Seul le Bon et les ptt le savent. Je vais donc m’en tenir à l’intemporalité de mes sentiments pour toi.
J’ai reçu ce matin ta lettre datée du 20 mai où se nichent les « extases murmurées ». Tu deviens une divine poétesse dans tes courriers ma Sandre...
Toujours aussi abondante en questions, je suis toujours prêt pour y répondre. En avant, plume !
[As-tu goûté les petits cœurs en pensant à moi ?]
J’ai mangé, oui je l’avoue, quelques petits cœurs en pensant au tien qui bat avec tant d’élégance... Je fais du Cabrel là, ‘scuse !
[Vendredi prochain, je pense mettre un tailleur noir avec mes escarpins. Je ne pousserai pas le vice jusqu'à mettre un P.J. D’ailleurs, aimes-tu cela ?]
Ta tenue d’arrivée m’a l’air très appétissante ma foi... Je te promets d’attendre notre arrivée au nid avant de la goûter.
Les P.J. comme tu dis... bof, pas vraiment dans mes obsessions. Tu portes très bien le collant, avec ton corps d’adolescente...
[Quel(s) genre(s) de sport(s) regardes-tu à la télévision ?]
Pas vraiment très accroc du sport à la télé... Quand cela m’arrive ce sera plutôt du tennis, de la Formule 1, voire parfois de la boxe comme tu l’as lu dans mon Journal (test d’attention !).
[Quel a été le résultat de ta visite chez l’ophtalmo ?]
Résultat pour mes yeux : stable situation, légère modification pour le gauche et lentille en mauvais état pour la droite... Stable donc, mais changement global nécessaire.
[Que dis-tu concernant nos modalités de rencontre ?]
Pour mes proches, je dis la vérité : 1er temps en 1992, puis reprise de contact en 1996. Pour les accointances je n’en parle pas...
[Tu sais que tu es encore plus mignon quand tu as les cheveux ébouriffés ?]
Je ne savais pas que mon charme s’intensifiait avec le bazar de ma chevelure... Mais oui, ma Sandre, je me décoifferai sauvagement pour toi... dans l’intimité, hé hé !
[As-tu réfléchi aux variations « aquariales » ? Je suis sans cesse effleurée par le désir de toi. Le bâillonnement a-t-il encore des secrets pour toi, cher ange ?]
Pour nos variations en alcôve réduite, nous improviserons... Nos talents se conjugueront au poil... Quant au bâillonnement, heu... nous verrons si tu ne sais pas te tenir (hé !).
[Cette glace à la poire est un délice... et du Loïc glacé, c’est comment ?]
Glacé, le Loïc a une irrésistible tendance à devenir de la crème fondue... surtout en brûlant pour toi.
[Pour le mariage, voudrais-tu que j’ai les cheveux libres, ou attachés comme pour le gala ? Genre chignon sophistiqué ?]
Je préfère tes cheveux au vent, ma douce, sauf si la tenue exige une sophistication...
Je file à table... Je t’embrasse et je t’aime mon enchanteresse...
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Le 24 mai 1996, 16h30.
Ma Sandre,
Dans quelques heures nous nous retrouverons réunis, mais quand tu liras cette carte, nos doux et bons moments passés ensemble ne seront plus qu’un souvenir.
Pour être encore proche de toi à ton retour, mes plus tendres pensées.
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Mardi 29 mai
Week-end de la Pentecôte avec ma Sandre d’amour. Un temps de chiottes, mais une totale symbiose entre nous, et un épanouissement sensuel prometteur. A Lutèce, nous avons visité notamment les musées d’Orsay et du Louvre.
Le lancement du Buhot de Kersers sur le Cher se prépare... Il faut mettre les turbos.
Beau temps au château, j’achève la rédaction de la deuxième partie de mon mémoire... Je suis confiant pour ma soutenance...
Reçu aujourd’hui une carte adorable de Sandre et une lettre de mon ancien professeur de français (en quatrième et troisième), M. Jean R., aujourd’hui à la retraite dans une petite commune de la Haute-Marne (Doulaincourt), visiblement touché que je reprenne contact avec lui.
Dans l’émission Etat d’urgence de Cavada, consacré au foot et à l’argent, un portrait du joueur Cantona et une synthèse de sa carrière. Personnage attachant et plein de reliefs. Hommage d’un qui n’a rien à foutre du monde de la baballe.
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Au, le 29 mai 1996.
Cher Monsieur,
Très touché par votre réponse, et ravi que vous vous soyez retiré dans les belles régions de la Haute-Marne et de la Franche-Comté. Cette Haute-Marne a retenu toute mon attention au troisième trimestre 1995 dans le cadre de mes activités éditoriales. Nous avons en effet exhumé le magnifique ouvrage d’Emile Jolibois (copies de la couverture, du quatrième et du passage traitant votre commune) préfacé pour l’occasion par le président de la Société archéologique de Langres. Ce magnifique dictionnaire des communes de près de 550 pages date du milieu du XIXe s., et il était grand temps que nous lui redonnions une nouvelle vie.
C’est vrai, je l’avoue, vous êtes le seul professeur avec qui j’ai eu envie de reprendre contact. Le souvenir de votre enseignement, l’alliance que vous faisiez entre une curiosité tous azimuts et une juste sévérité, et surtout les encouragements que vous m’avez faits pour l’écriture ont forgé ce besoin de vous rendre hommage.
Je joins également à ce courrier l’introduction et le plan détaillé de mon mémoire de lettres modernes que je rendrai en septembre. Aviez-vous conservé les textes que je vous avais remis il y a quelques années (en 1988 je crois) ?
Le sérieux de ce travail universitaire ne m’enlève pas mon goût pour des textes plus pamphlétaires que je vous enverrai une prochaine fois.
Au plaisir de vous lire et de vous revoir. Très amicalement.
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Le 29 mai 1996.
Ma Sandre d’amour,
Reçu ta carte d’émotions qui m’a beaucoup touché. Je suis, moi aussi, un peu morose de cet éloignement, mais heureux de notre attachement.
Je ne pensais pas que tu cachais tes larmes lorsque nous avons eu le petit stratus... J’en suis désolé... mais comprend ce que j’ai pu ressentir, même si j’ai tout interprété très mal.
Le temps est bleu et rayonnant... c’est rageant d’avoir loupé cela.
Je ne te prends pas trop de temps ma douce... Beaucoup de courage à toi... et plein de baisers, de caresses... et tout ce qui suit...
A très vite.
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Au, le 31 mai 1996.
Ma Sandre désirée,
A nouveau bercé par ta petite musique épistolaire, je suis enchanté. Bientôt, quand tu auras fini tes examens, je t’apprendrai l’enfer (délicieux) sensuel et coquin que nous pouvons créer par l’écriture. Ceci rapprochera nos chairs et nos âmes. A l’émotion de tes douceurs s’ajoutera la passion charnelle dans toute sa folie. J’en salive déjà, et notre jardin secret s’enrichira de nos exaltations.
Pour être sérieux ma Sandre : ancrage d’une envie et d’un besoin de construire avec toi une forme de bonheur...
A toi mon amour éloigné.
Fougueusement tiens.
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Juin

Le 3 juin 1996.
Au creux grisant de leur courbure, je goûte à leur ferme rebondi dont la nature les a dotées. Charnues, oui, nous pouvons l’inscrire sans excès et sans délire fantasmatique. Certes, elles ne m’ont pas encore accueilli jusqu’au tréfonds de leur embouchure, mais j’y parviendrai par l’alliance de la douceur et de la détermination.
La teinte nacrée, la texture de soie chaude, elles ont la discrétion des vierges contrées et la complicité d’adolescentes assoiffées.
J’y exerce mes sens exacerbés jusqu'à l’heureuse perdition : je les mire dans leur frémissement, je les sens brûlantes sous mes phalanges, j’ois leur enchanteur ballottement, j’inspire la fragrance de la raie en ébullition et je reprends des saveurs de leur fraîche rose des vents...
Oui, Sandre, je l’avoue, je les aime !

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Laon, l’An 96, un 5 juin ensoleillé.
Sandre mienne,
Comme un écho de tes soupirs dans le crâne, « j’ouïs le feu des orifices » disait une de mes dérives poétiques, avec d’ailleurs une incorrection verbale.
Nous avons presque aboli les contraintes géographiques pour satisfaire nos penchants réciproques. Essentiel à moi, Sandre, que tu continues à te confier, à me conseiller, à susciter ce qui t’enivre, à progresser vers ces instants d’exceptionnelle perdition.
Cette quête d’une symbiose irradiante des corps et des âmes est en voie, peut-être, de réalisation.
Ces frissons immergents que tu m’évoquais hier, en nocturne, me reviennent en flopées d’émotions.
Gageons que nous nous serrerons bientôt...
Bon courage pour tes révisions et vœu de réussite. Tendres désirs d’un fougueux.
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Château d’Au., le 5 juin 1996.
Ma tendre Sandre,
Depuis mon dodo, tes courriers à mes côtés, je vais m’efforcer de rattraper le retard accumulé. Séance réponses donc...
[J’ai pensé à toi en allant à la pharmacie. Il existe une espèce d’urgo qui permet de ne pas ronfler : je n’y crois guère. Tu l’as dit à Karl que j’étais la seule à te l’avoir fait remarquer ?]
Je serais bruyant du tarin... tu confirmes les propos de Karl que je ne croyais pas. Mes ribaudes antérieures étaient soit sourdes, soit hypocrites... C’est tout de même terrible le concert nocturne en deux narines et trente-deux dents que nous allons faire.
[Ce désir de toi est grandissant, terres inconnues. Quand prendrons-nous à nouveau un bain ensemble ? Quelles sensations éprouve-t-on à faire l’amour dans l’eau ?]
Je me rebaignerai volontiers à nouveau avec toi et ta mousse hémorragique... Et pour s’unir, c’est quand tu veux. Je présume qu’une partie de sfouac-sfouac aquatique doit amplifier les SFOUAC-SFOUAC !!! Pour le reste, j’attends de le vivre avec toi. Et un soixante-neuf en apnée, ça te tente ?
[As-tu rêvé de moi ? Il y avait une table dans ce rêve ? (Rires)]
Pas de souvenir de rêve érotique avec toi. Pas d’explication à te fournir pour me justifier. En revanche, la proposition de réaliser une rencontre charnelle sur table reste très sérieuse.
[Me feras-tu des cajoleries contre ces arbres centenaires : franchir ces ponts qui mènent au ciel ? Tu sais que tu as un côté sauvage, animal ? (Sourire)]
Un plombage contre l’écorce d’un centenaire me semble plus difficile à réaliser, mais on tentera de se trouver un coin de nature... vierge où se débaucher. Et mon côté animal que tu décèles entre deux draps pourrait trouver là un terrain d’épanouissement supérieur.
[On rentrera dormir chez moi après la soirée à Mépin ?]
Bien sûr, nous retrouverons ton nid... Tu verras que nous vivrons notre propre noce érotico-sensuelle, voire carrément pornographique.
[As-tu mis de nouveaux épisodes à ton Journal ?]
Peu écrit dans mon Journal, peu de temps en fait. Le peu dont je dispose, je te le consacre par cette correspondance... Mais je parle un peu de toi tout de même, et en bien évidemment. [...]
[Tu penseras à m’envoyer des photos de tes petits chatons ?]
J’y pense fortement, mais ce n’est pas moi qui les possède... J’essaie de les récupérer depuis quelques semaines. Courage et patience.
[Cela t’ennuie si Fab est là à Cannes ?]
Si je viens à Cannes, ce qui demeure malheureusement hypothétique, je serais enchanté de connaître ton cousin. Aucun problème pour moi.
[Crois-tu que je serais mieux si j’avais moins une silhouette d’adolescente et plus celle d’une femme ?]
Sur ton corps, tu connais tes défauts, tu sais ce que j’aime chez la femme, mais tu sais aussi combien je te désire... Je crois qu’une détermination fondamentale est là pour transcender nos imperfections réciproques. Je n’ai rien à demander sur ce que tu ne peux pas changer... Par contre, si je sais que sur un élément particulier tu peux évoluer, je te le dirais avec beaucoup de tendresse, et pour ton bien. Voilà ma Sandre aimée. Délicat sujet non ?
[C’est étrange, tu n’as pas un goût amer.]
Pourquoi le sucré de ma semence te paraît-il étrange ? N’est-ce pas là encore une espèce d’alchimie que tu réalises par ton désir et ton amour ?
[Tu te rends beaucoup maître de tes extases, non ?]
Je le crois, bien que l’instinct conduise une partie essentielle de mon comportement sexuel. [...]
[Quelle est cette forme de bonheur dont tu m’as parlé dans ta dernière lettre ?]
Cette idée d’un bonheur à deux ne repose ni sur la passion, ni même sur l’amour. C’est la volonté fondamentale de deux êtres de construire quelque chose, avec ou sans enfants, pour accroître une harmonie faite de concessions, de compromis et surtout d’une moralisation absolue.
[Penses-tu que ce serait une bonne idée pour moi de changer d’appartement à la rentrée (pour prendre plus grand) ?]
Difficile de te conseiller. Si des questions d’économie financière existent, tu as probablement raison. Si cela n’est fondé que sur la taille, je ne vois pas une utilité pressante... Mais tout cela est un avis consultatif, comme on dit en droit, qui ne te lie en rien...
[La maison de ta grand-mère se situe où exactement ?]
Elle réside à Fontès, à une trentaine de kilomètres de Pézénas (ville de Molière) dans l’Hérault. [...]
[Tu sais que je n’avais jamais goûté et a fortiori bu la salive de quelqu’un ? C’est une coutume des amants tu nord ? (Sourire)]
La boisson salivaire est une pure invention de ma pomme. J’aime ta bouche et j’aime y boire. Jamais je n’avais fait cela avant. Et toi, aimes-tu cela ?
[Quand as-tu fait ta mononucléose ?]
En février je crois... à vérifier.
[Loïc, penses-tu que je devrais pardonner à mes géniteurs ? Que je devrais me réconcilier avec eux ?]
Je n’ai pas le droit de te conseiller, ça t’est trop personnel.
[As-tu déjà mangé de la confiture de roses ? As-tu déjà goûté aux pavés roses de Reims ?]
Je crois connaître la confiture de roses... et oui pour les pavés de Reims.
Un peu bâclé la fin, pardonne-moi. Mes bisous sont néanmoins profonds et intenses.
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Le 8 juin 1996, depuis un train.
Ma Sandre,
Je suis parti du château la gorge un peu serrée suite à l’écoute de ton message sur mon répondeur. Alors nous voilà tous les deux sur le pavé, presque miséreux ! Toi qui ne pouvais imaginer de ne pas me voir pendant plus d’un mois, te voilà résignée à une absence de soixante jours, en espérant que nos projets de juillet résistent aux carences financières...
Non ! ma Sandre, je ne me résous pas à ta non venue le 29 juin prochain. Ce serait une trop grande déception (peut-être même un chagrin) pour Heïm, d’autant plus s’il en connaissait la raison. Il m’en voudrait beaucoup. Je te prends donc intégralement à ma charge. Je me débrouillerai.
J’espère que cette nouvelle décision n’était pas liée à une volonté de mise en parallèle par l’annulation des deux voyages.
Journée radieuse au château, mon bronzage se fait de plus en plus coloré.
Premier comité de rédaction pour la revue Histoire insolite que nous allons lancer en septembre. Un travail immense et passionnant nous attend. Je suis plus spécialement chargé des questions juridiques, de la recherche publicitaire auprès d’institutionnels, d’agen­ces, etc., de la recherche iconographique, de la supervision des textes qui doivent être faits (fonction de secrétaire de rédaction) et bien sûr de la ponte d’un ou plusieurs articles. Tu vois le poids de ma charge chère Sandre.
Désolé de cette relative froideur à ton endroit, mais seul un fond de tristesse la justifie.
J’espère que le voile se dissipera vite. Ton bien-aimé.
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Paris, le 10 juin 1996.
Ma Sandre à embraser,
Je te griffonne ces lignes depuis les bords brûlants de la fontaine du Palais-Royal.
Je tenais par la présente à contrebalancer la teneur de mon dernier courrier quelque peu alarmiste et dramatisant.
Nous retrouver au moins une fois en juin m’est indispensable pour ne pas sombrer dans une néfaste morosité.
Nos retrouvailles autour de voluptés verbales, d’abandons aux coquineries (avec le [o] phonétique qui te transporte) téléphoniques compensent certes notre éloignement, mais la carence de toi demeure puissante. L’échange de nos fluides, les frissons d’un serrement de tes reins, mon oreille à l’écoute des secrets de ton nombril, l’inexorable glissement coordonné dans tes niches charnelles...
Voilà pour l’instinct. Une autre fois pour la raison. Très tendrement.
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Depuis un train capricieux, le 11 juin 1996.
Mon amour de Sandre,
S’il convient de se faire une raison de ce manque de toi, l’obsession n’en demeure pas moins oppressante. Ma Sandre avec qui je voudrais tout vivre, tout tenter et qui se fait désirer sans pouvoir assouvir la bête gourmande.
Plus notre harmonie fondamentale sera profonde, nos accroches mentales inexplicablement bienfaitrices, mieux s’épanouiront nos communions sensuelles.
Une réflexion à brut : c’est bien la première fois que je n’appréhende pas une quotidienneté avec une jeune femme, mais que, au contraire, je l’attends avec une sereine plénitude envisagée.
Que ne m’as-tu pas encore raconté sur toi ma Sandre, tes angoisses passées et tes espoirs présents ? As-tu avec moi ces mêmes affinités sur la manière de concevoir une vie à deux que tu sembles commencer à en avoir dans nos intimités charnelles ?
Dans l’attente insatiable d’ouvrir tes lettres et tes cuisses, tes feuilles et ta bouche... Baisers d’amour ma Sandre...
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Le 12/06/96.
Rien que pour ma Sandre
Ma douce envoûtée,
Je sors de la seconde lecture de ton courrier enflammé. Une véritable jubilation du verbe, du mot, de l’expression bien amenée. J’en suis encore tout troublé.
Tu es précieuse ma Sandre, et j’espère t’aimer avec une fougue croissante. Avec toutes ces puissantes images que tu m’as suggérées, je regrette d’autant plus notre éloignement.
Sandre d’albâtre pour la peau, fauve pour l’âme, j’espère que nous incarnerons un parangon de dualité sans retenue.
Quelques petites réponses :
[Tu as ta tenue définitive pour le mariage de Nadette ?]
Pantalon de lin crème, veste noire à acheter et une chemise à déterminer. Nœud papillon ou cravate... En bref : très flou.
[J’aimerais bien me remettre au piano, à la danse, et reprendre mes langues étrangères (anglais, espagnol). Mais où trouver le temps nécessaire ?]
Une bonne idée de te remettre au piano, une touche noire par-ci, un carcinome par-là, un accord de blanches de ce côté, une palpation de l’ampoule rectale de l’autre... Virtuose ma Sandre !!! Hé hé.
[Madeleine Chapsal est sortie avec un ministre dans le passé ?]
C’est avec le fondateur de l’Express, Jean-Jacques Servan-Schreiber que Madeleine a été mariée. Pour le reste (hormis l’écrivain Roger Nimier) je ne connais pas ses aventures.
Dans l’attente de te retrouver, je t’aime à distance.
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Au., le 13 juin 1996.
Courage pour tes révisions ! ! !
Sandre, ma promise,
A l’heure où je t’écris, une petite boule d’angoisse doit germer dans ta gorge ma Sandre. Je suis de tout cœur avec toi. Ne dramatise pas trop tout de même. Dis-toi que tu as largement les capacités intellectuelles pour réussir brillamment tes deux épreuves. Ce qui n’est que la pure vérité.
Je poursuis mon travail tous azimuts. Ma rencontre de lundi avec mon directeur de mémoire s’est très bien passée.
Peut-être, dans une semaine, nos retrouvailles enchanteresses.
Avec mon plus ardent des soutiens... Ai confiance et MERDRE ! comme dirait l’Ubu !
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Paris, le 15 juin 1996.
Amour de Sandre,
Après les explications torturées, une instinctive réconciliation par les ondes téléphoniques. Belle prouesse, hé hé.
Ton courrier, lu en arrivant dans ma chambrette lutécienne, m’a encore une fois profondément touché. Je t’espère. Ne surtout pas gâcher nos rapports est ma hantise. Je connais mes vieux démons...
S’interroger est une saine approche des aspérités de nos relations. T’ouvrir, corps et âme, me réserve de précieuses découvertes.
Très vite nous allons patauger ensemble dans les eaux cannoises. J’en frémis de plaisir.
Baisers ardents, pensées obsédantes.
Bonne route vers Cannes ma Sandre d’amour !
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Château d’Au., le 16 juin 1996.
Ma Sandre d’une vie,
Je sors d’une journée merveilleuse de la fête des pères. De nombreuses pensées me liaient à toi. Hermione a offert son premier bronze, très impressionnant. Heïm m’a à nouveau dit son bonheur de te rencontrer dans 15 jours. Et moi, quelle fabuleuse chose de te voir deux week-ends de suite... Je te montrerai le parc du château, le village, la ferme et le château Richard... Aimons nous très très fort pour compenser cette lancinante absence.
Tes courriers coquins et adorables me sont d’une précieuse compagnie. Je vais essayer de prendre appui sur certaines de tes images pour participer à ton feu littéraire.
Moi, « félin doux et puissant » ? Un équilibre instinctif qui anime mon désir. Investir ton corps et se laisser envahir par tes élans gourmands.
Ta chevelure et mes mains, mes paumes et tes mèches font bon ménage. Le parfum qui s’en exhale attise ma sauvagerie sous-jacente. Mes doigts, des « lutins malicieux » ? Tu fais de véritables trouvailles poétiques ma Sandre. Je vais devenir jaloux de tes capacités créatrices, hé hé.
Se promener sur tes finesses galbées, sur ton grain de peau, sur les contours humides de ta vulve frémissante, avaler ton petit clito gonflé, sentir ton petit cul frétiller sous mes à-coups libérateurs. Voilà que je fais dans le carrément osé ! J’espère que tu tiendras le choc. Tu m’inspires que veux-tu... [...]
Appel à ma Sandre, retour à 0h04.
Je reviens tout empli d’intensités... Inexprimables sensations d’un attachement sur le fil du rasoir.
La suite au prochain courrier ma douce. Je t’embrasse sans fin.
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Au, le 18 juin 1996.
Chère Sandre mienne,
Est-ce que Sandrie te plairait davantage comme petit nom ?
Te voilà libérée de tes épreuves, et nous voilà au seuil de retrouvailles tant attendues.
La « gaillardise toute païenne » que tu me prêtes est un sel vivifiant de notre rapport. Le propre de notre intimité est de ne point bouder une complicité croissante.
Où peut donc se nicher cette « douceur de mon âme parfumée » ? Je me la brosse à chaque résurgence démoniaque du satyre puant... hé hé ! Je te laisse le soin de décrypter à ma place.
L’irrésistible conquête de l’empire des sens, voilà qui peut-être te comblera. A quand nos délires charnels renouvelés quotidiennement ?
Nos « étourdissantes orgies » ? Tu le ressens vraiment ainsi ? Mais à quoi ressemblera donc notre total épanouissement ? A une innommable perdition ?
Les saisons froides de notre amour sont, je l’espère, très loin, comme un mauvais horizon. Cultivons nos facultés d’étourdissement mutuel, de régénération chaque fois recommencée, et la voie sera la bonne.
Pourquoi cette peur d’être une femme galante sous l’agilité titilleuse de mes doigts ? Cette réserve, même infime, que tu mets en toute chose, est-ce ton secret de préservation ?
Nos accroches sont ridicules, en réalité, comparées aux plaisirs pris et à prendre, à ce bien-être que je ressens à tes côtés. Ce choix de toi, il est le fruit de la raison plus que de la passion, mais il est, je crois, plus solide... [...]
A te baiser... les lèvres... ma chatte sandrée.
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Le 19 juin 1996.
Ma Sandre, cannoise préférée,
Ce petit mot en forme de retour d’émotions de ta carte au coquelicot rougeoyant.
Notre heure approche. Espérons que les cumulus ne nous frustreront pas de l’astre chauffant.
Quelle préférence ma Sandre : nos rapprochements entre deux draps, nos barbotages dans la grande bleue, nos escapades dans les verdoyantes un chouïa aride de l’arrière-pays ou la simple respiration de nos liqueurs mélangées ?
Je te laisse à tes songes et je m’imprègne de ton souvenir. Câlinement.
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Château d’Au., le 19 juin 1996. A 23h08.
Fine Sandre,
Comment va s’opérer notre nouvelle entrevue ? Pas d’appréhension chez moi bien sûr, mais une certaine fébrilité : ce n’est que notre quatrième rencontre depuis six mois de correspondance. Troublante distance entre notre infinie complicité et la rareté des moments partagés dans notre totalité humaine. Bon, je complique tout... désolé hé hé !
Comment peut-on doubler l’intensité d’un instant avec toi ? Je me sens mollement inspiré ce soir, ne trouves-tu pas ?
23h30. Je viens d’avoir ton message sur mon répondeur d’avant sommeil. Je n’ai pas pu t’appeler avant, car Karl s’est occupé du disque dur malade de mon ordinateur. A cette heure avancée, je n’ose pas déranger la Villa Maupassant.
Petite page culturelle pour ma Sandre. Une très jolie citation de Léon Bloy : « La parfaite stupidité de ce jouisseur ithyphallique est surtout manifestée par des yeux de vache ahurie ou de chien qui pisse. » Le jouisseur n’est autre que le pondeur de Boule de suif !!! J’ai eu l’explication des déviances de Maupassant dans le Journal de Léautaud qui rapporte certains de ses écrits, légèrement allumés, du genre : « Je sens le con. J’ai beau me laver je sens le con, et quand je marche dans la rue les gens bandent ! » Citation de tête... si je puis dire.
Heu... pourquoi je te cause de cela... Serais-je autant en manque ?
Un reportage sur la Une traitant des mères prostituées. L’horreur absolue, le gâchis des filles plongées dans ce contexte sordide. Témoignages touchants de jeunes femmes conscientes et terriblement lucides.
Je ne t’ennuie pas plus longtemps ma Sandre pure, et je t’envoie mes plus attentionnés baisers.
Je volerai bientôt vers toi...
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Le 21 juin 1996, 6h30, à Laon pour Lutèce.
Ma désirée,
Une dernière fois avant mon envol, ces quelques tracés d’amour. Comment concentrer en trois jours et trois nuits la tension sentimentale accumulée ? Tu ne liras cette lettre qu’à la fin de mon séjour et nous mêlerons nos langues, nos bras et nos corps une heureuse fois de plus.
Tes adorables courriers reçus cette semaine m’accompagnent. Je pioche çà et là quelques phrases chantantes comme un baume agréablement parfumé. (J’ai noté que tes dernières lettres exhalaient une senteur...)
Je vais retrouver les pages quadrillées de mon brouillon de mémoire. J’attaque la PIIIA3°, « Le sentiment d’une imposture démocratique ». Sensible sujet n’est-il pas ?
Avant cet exercice intellectuel, je te souffle mes plus braisés baisers et t’applique d’inondantes caresses.
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Mardi 25 juin
Du vendredi à lundi, séjour à Cannes, invité par Sandre et sa mad. Délicieuse ma Sandre, sans réserve. Je l’emmène au château dimanche prochain. Un bonheur en perspective. Notre correspondance, toujours aussi fournie, compense l’éloignement.
Le lancement du mensuel Histoire insolite se prépare... Beaucoup de travail passionnant en perspective, mais des combats rudes à mener pour gagner.
Je finis la rédaction du brouillon de mon mémoire de lettres.
Pour la fête des pères, Hermione offre à Heïm son premier bronze.
Le Journal inédit de Léon Bloy (édité par l’Âge d’homme) révèle une image bien décevante de l’écrivain. Peut-être une explication du « faux bonhomme » employé par Léautaud.
Côté actualité, rien de transcendant. A noter tout de même l’élection d’un juif de la droite dure pour mener le destin d’Israël.
Hé hop...
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Le 25 juin 1996.
Ma coquine exclusive,
Curieux effet de passer en un peu plus d’une heure de la chaude compagnie de ma Sandre et de l’ensoleillement cannois aux grisailles humides d’une Lutèce sans attrait.
Quel doux séjour tu m’as offert par ton infinie gentillesse, tes attentions de tous les instants et cette féminité un peu sévère qui intensifie nos rapprochements.
Si nous poursuivons cette entente, je vais de plus en plus désirer une existence quotidienne avec toi. Nous pourrons, je l’espère, nous battre ensemble pour approcher un bonheur dualiste.
Tout ce qui peut subsister encore d’angoisses ne vient que de ma propre nature, et je ne doute pas qu’elles s’amenuiseront irrésistiblement.
A très vite pour te serrer à nouveau.
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Le 26 juin 1996.
O ma Sandre,
J’ai manqué à mon devoir de répondre aux questions de tes deux courriers lus dans l’avion qui me menait à tes bras. Allons-y donc...
[Tu n’as pas le mal de mer ?]
Je n’ai pas d’expérience suffisamment profonde pour déterminer si je suis sujet au gerbage... pas dans mon bain en tout cas.
[Pourquoi, au fait, « château Richard » ?]
Confirmation que le nom de château Richard tient au propriétaire qui a édifié ce bâtiment. Karl a trouvé dans une brocante des cartes postales du début du siècle qui montrent les différents châteaux et le village au début du siècle. Emotions garanties avec cette plongée dans le temps.
Hier des Américains (du grand-père à la petite fille !) ont débarqué en Renault Espace devant le château. Le vieux monsieur, militaire dans la Royale Air Force je crois, avait loué en 1952 le château du vieux Gué (où se trouvent actuellement des débiles) et avait été reçu par monsieur B. (l’ancien propriétaire de notre château) à un somptueux dîner. Il n’était pas revenu depuis cette époque et s’est installé dans l’Etat de Philadelphie.
[Ce n’est pas là que le personnel de la maison d’édition doit emménager ?]
Les employés prendront place, sitôt les travaux finis, dans l’ancienne ferme que François Richard vient d’acheter.
[Tu penses sincèrement que je pourrais habiter sur tes terres ?]
Je crois que tu t’y sentiras très bien ma Sandre, mais avec toute cette pression familiale, en auras-tu encore envie ?
[Tu as peur ou tu redoutes, je ne sais pas le mot juste, que je t’échappe à tout instant. C’est impossible, je me détruirais. Tu ne comprends donc pas que tu es la clé de voûte de l’édifice sandrien ?]
C’est joli et très agréable d’être l’élément essentiel de l’architecture sandrienne... Il ne faut pas que je me baisse trop alors !
[Tu aimes les pistaches ?]
J’adore autant que les noix de cajou que je t’ai piqués à la piscine ma Sandre.
[...]
Je repense à nos rapprochements contenus, pour ne pas exploser, et à ma jolie Sandre, toute fine dans son ensemble crème... jolie Sandre... l’air aristocratique.
Je t’aime, en pensées et en corps. A très vite.
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De mon lit Auois, le 27 juin 1996.
Ma Sandre fragile,
Désolé de mon manque de convivialité au téléphone, mais j’éprouve une réelle fatigue physique après un travail intense dans le parc. Pourtant, sans te le dire, j’éprouvais une envie sans norme raisonnable de te faire une myriade de choses aux dénominations sulfureuses. [...]
A propos du massage que tu désirais dans ta lettre des 19-24 juin, une connasse entendue à la radio tenait absolument à ce que cette activité soit définitivement séparée de la sensualité qu’on y attache. [...]
Le 29/06/96. A-y-est ma Sandre, je me mets aux courriers à épisodes, suivant tes traces.
Pour une fois, je ne suis pas mécontent de retrouver la grosse Lutèce, car je vais y dénicher un adorable bout de Sandre...
Tes angoisses, tes doutes, n’hésite jamais à m’en faire part ma tendre. Je ne suis pas seulement proche de toi pour te câliner, mais également pour t’apporter à tout instant le soutien dont tu as besoin. [...]
Bientôt le mariage de Nadette, puis notre départ, en musique, vers l’Ile de Ré.
Je t’embrasse chastement ma Sandre adorée...
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